Chapitre 21

Simian Exit

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Je suis le témoin de la trahison de mon cœur-scarabée.

Il a parlé une langue étrangère à mon tribunal étrange. La lumière verte a filé entre mes doigts et l’immense caverne est redevenue sombre. À présent, les parois tremblent des voix des jurés et des ricanements du babouin amusé.

— Tss-tss-tss, ma sœur, me souffle-t-il. N’as-tu pas écouté ce que disait le Livre des morts, chapitre 30 ? Avant la pesée, les voyageurs doivent toujours faire taire leur cœur, ce grand traître… Le tribunal n’a jamais vu de cœur volubile. Quel sort te réserve-t-il ?

À mesure que le cœur-scarabée continue de parler avec le juge, le parfum immonde de la bête s’insinue dans mes veines. Je reconnais enfin cette odeur ; elle appartient au monde que j’ai quitté il y a une éternité : c’est celle de l’angoisse.

Enfin, l’œil vert immense se met à parler :

— Tu es juste de voix. Mais ton cœur-scarabée refuse la lumière verte.

Je ne comprends pas. Le singe sur mon épaule a cessé de siffler. Chaque chose dans l’univers retient son souffle, même la bête.

— Tu dois repartir, intime l’œil-juge.

Le grand chien noir est déjà à mes côtés, me tirant vers la rivière verte. Je me débats, mais mon corps n’est qu’éther.

— La rivière verte ne coule que dans un sens… commence l’homme au long bec de sa voix morne.

Mais l’œil devient couleur de colère et le silence revient.

— Le singe sera ton geôlier jusqu’à ton retour, m’annonce le juge.

L’œil gigantesque se dissout alors en vagues violentes et verdâtres que notre barque attaque à contre-courant. Le singe enfonce ses griffes dans mon épaule pour ne pas être emporté par le fleuve déchaîné. La tempête est monstrueuse et le grand chien noir plante les rames dans les flancs verts et mousseux pour nous garder à flot. La douleur envahit peu à peu tous mes membres, en même temps qu’un sentiment familier : je suis une à nouveau, séparée des autres. Je suis moi, mais qui suis-je et pourquoi ai-je si mal ? J’ouvre des yeux immenses pour appréhender ce vers quoi nous nous dirigeons : un gigantesque maelström.

Je me tourne vers le grand chien noir pour le supplier, mais son regard est ailleurs, empli d’horreur. Nous ne sommes pas seuls dans la barque. Tapie dans l’ombre de la petite cabine, il y a une femme, un rictus satisfait sur son visage aux traits sublimes. Elle n’a pas d’yeux.

Avant de sombrer dans le vortex, j’entends le singe qui râle, terrorisé :

— Néfertiti !

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