Chapitre 24

Flammes (II)

Chapter illustration

Le Caire, commissariat de police d’al-M., le 21 juin


Aqmool gisait dans l’ambulance. Pendant qu’un de ses assistants lui faisait un compte rendu, il essayait de ne pas perdre connaissance.

L’assaut du commissariat était fini. Le bâtiment était éventré, dégoulinant d’eau noire. Les pompiers avaient eu du mal à l’atteindre, toutes les rues y menant étaient bloquées. L’armée était toujours aux trousses des manifestants, le champ de bataille s’était déplacé vers la place Tahrir. C’est là que les reporters s’étaient rendus aussi.

Plus de vingt blessés. Deux morts. Un policier. Et Nasser.

— L’Allem-m-m-and… dit Aqmool dans un souffle atroce.

— Qui ? dit le policier qui l’accompagnait.

— Hausmann… commença Aqmool, mais les mots étaient déformés.

— Pas trouvé.

— Dites-lui de ne pas parler, ordonna l’ambulancier.

La douleur était tellement intense que Aqmool était corps et âme englouti par elle. La partie gauche de son visage était ravagée. Son œil gauche, son nez, ses lèvres, tout n’était qu’une masse de chair désordonnée. Sur son épaule et le haut de son bras, la plaie béante se mêlait à un tissu noirci. Il râla avant de perdre connaissance.

* * *

Franklin se pressait vers les ruines du commissariat, la peur au ventre. Pourquoi n’y avait-il pas pensé plus tôt ? Toutes les rues étaient bloquées, il avait dû marcher, fendre les foules excitées. Il ne reconnaissait plus le Caire qu’il aimait, avec ses habitants si chaleureux, si pacifiques. Ces violences égyptiennes semblaient profondément contre-nature et ne faisaient qu’attiser ce pressentiment mauvais qui pressait son pas. Il arriva devant le commissariat et perdit son souffle pendant quelques instants. Ce bâtiment vivant seulement une heure plus tôt était à présent en ruines.

Il se faufila parmi les restes fumants. Il mit son bras devant son nez pour bloquer l’odeur immonde et enjamba les meubles cassés, les téléphones carbonisés, les milliers de feuilles de papier qui flottaient dans l’eau sale, une chaussure qui gisait au milieu de formes noires et indéfinies. Puis, parmi les décombres, il vit une silhouette qu’il connaissait : Aaron Rodriguez, l’agent du FBI. Il l’interpella. Quand il vit Franklin, Rodriguez secoua la tête et lui fit un signe que le détective ne comprit pas. Enfin, il vit Aziza Rust.

Elle lui adressa un regard plein de mépris, puis l’ignora pour de bon. Elle arrêta l’un des policiers égyptiens et lui dit :

— Cet individu n’est pas autorisé à se trouver sur ici. Pouvez-vous l’escorter ailleurs, s’il vous plaît ?

Le policier acquiesça et fit signe à Franklin de le suivre. Mais le détective ne bougea pas et lança :

— La salle des pièces à conviction a été touchée ? Rust, répondez-moi.

Alors que le policier lui empoignait le bras, Franklin se débattit. Rodriguez accourut pour calmer la situation et en profiter pour lui murmurer dans l’oreille :

— Qu’est-ce que tu fous là ? Fais pas l’idiot.

— Aaron, siffla Franklin tout bas, tu sais aussi bien que moi ce qu’il y a dans ce commissariat. Dis-moi juste s’il y est toujours.

— Un mot de plus, et c’est l’arrestation, intima Rust.

Rodriguez fit mine de repousser Franklin et le policier le tira vers l’extérieur. Il obtempéra. Soudain, un autre policier déboula vers Aziza Rust et dit :

— Madame, vous aviez raison. Impossible de mettre la main sur le masque de Toutankhamon…

— Merci, l’interrompit brusquement Aziza Rust. Continuez vos recherches, je vous en prie.

Les jambes de Franklin semblèrent se dérober. Pourtant, il sentit une vague de détermination se saisir de lui, une énergie nouvelle renforcer toutes ses émotions. Il se laissa accompagner par le policier, mais il ne put s’empêcher de jeter un regard vers Rust, insensible et austère au milieu des ruines. Il allait lancer une dernière provocation, mais à ce moment-là, tous les visages se tournèrent vers un cri venu de l’autre côté du bâtiment, vers la rue. Une femme appelait à l’aide.

Franklin se défit de l’étreinte du policier et courut vers la source du cri. Il vit d’abord la chevelure qui détonait dans le décor incolore de poussière et de cendres noires. Florence était penchée au-dessus d’un pantin désarticulé auréolé de sang. C’était le jeune Max.

Florence agenouillée avait pris la tête inerte de Max dans ses bras. Ses doigts hésitaient au-dessus de son visage sale. Elle suppliait qu’on vienne l’aider sans le quitter des yeux. Une Pietà aux cheveux roses et aux bras tatoués. Les secours arrivaient déjà et s’affairaient autour d’eux. Ses lèvres qui tremblaient déposèrent un baiser sur le front de Max et Franklin aurait juré que c’était une déclaration d’amour.

Celles qui ont peur d’arriver trop tard sont toujours les plus belles.

← Chapitre précédent Chapitre suivant →
© Caroline Vermalle. Tous droits réservés.