Chapitre 29

Le Scultore

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Égypte, région de Luxor, Gourna, le 20 octobre.


Tout en conduisant sa voiture cabossée dans les rues poussiéreuses de l’ancien village de Gourna, Franklin appela sa banque pour vérifier son compte : le virement de trente mille dollars avait été effectué.

Il était à peine suffisant pour combler son découvert et assurer le paiement de ses frais à venir, mais c’était néanmoins un miracle. Jusqu’à maintenant, il n’y avait pas vraiment cru. Des clients millionnaires, il en rencontrait. Mais ils étaient encore plus difficiles que les autres, à toujours trouver tout trop cher, à pinailler sur n’importe quels frais. Ces arrogants prétendaient qu’ils apportaient du prestige à son affaire en y associant leurs noms et s’attribuaient ainsi le droit de payer en retard. Mais cette transaction-là était différente. Tout était payé d’avance, comme convenu. Le virement avait été fait en exprès.

Sixtine Desroches était une femme de parole.

Il essaya pour la énième fois le numéro de téléphone de la veuve de Nasser. Il ignorait pourquoi il essayait encore après tant de temps et rangea son portable. Il demanda à des passants la direction pour se rendre à l’adresse qu’il avait reçue et se gara enfin devant une maison coiffée d’un dôme, passablement délabrée, mais toujours gaie avec ses briques peintes en rouge et ses scènes du pèlerinage à La Mecque.

Il avait mis quatre mois pour trouver cette adresse. Quatre mois pour gagner la confiance de quelques antiquaires qui arrondissaient leurs fins de mois en ajoutant à leur stock des pièces « particulières », commandées à des artisans choisis. Il avait commencé dans les petites arrière-boutiques des souks avec des amateurs qui faisaient des anciens papyrus avec des feuilles de bananier séchées. D’autres fabriquaient des scarabées millénaires avec des vieux os mâchés par des dindons dont les sucs gastriques faisaient des patines formidables. Puis il avait fini, invité dans les ateliers du district de Khan el-Khalili au Caire et à Mit-Rahineh (l’ancien Memphis), qui se spécialisaient dans la copie haut de gamme des statues monumentales. Les meilleures pièces bénéficiaient d’un traitement spécial, avec l’ajout de patines faites à base de produits chimiques, de fausses fissures et de tous les détails qui, comme sous la baguette d’un magicien, vieillissaient l’œuvre de quelques millénaires et trompaient les plus grands experts. Franklin avait même fait la connaissance d’un artisan d’une cinquantaine d’années qui avait gagné une notoriété soudaine parmi ses collègues : aidé par ses frères, il était « l’artiste » à l’origine de Senusret III, une sculpture rendue célèbre grâce à un procès de cinq ans entre un milliardaire qui avait découvert que la pièce pour laquelle il avait déboursé un million d’euros était fausse, une maison de vente qui refusait toute rétraction, et des experts internationaux qui n’arrivaient pas à se mettre d’accord. Franklin savait que les partis s’étaient finalement entendus, suite, entre autres, à l’intervention anonyme de Yohannes De Bok pour qui l’inauthenticité de la pièce ne faisait aucun doute. Finalement, son enquête l’avait amené ici, au cœur de ce village sur la rive ouest de Thèbes, au sud de la vallée des Rois, lové au creux de collines couleur de sable et érigé au beau milieu des tombeaux colorés des nobles du Nouvel Empire.

Le changement de luminosité l’aveugla quand il quitta le soleil pour faire ses premiers pas dans une pièce dont les fenêtres étaient voilées par des tentures orange déchirées.

— Franklin Hunter. Nous vous attendions, dit une voix que les ans avaient rayée.

Franklin décela petit à petit un vieillard, frêle dans une grande robe grise, assis au beau milieu de ce qui ressemblait à une boutique de souvenirs qui avait été oubliée par les touristes bien longtemps auparavant. Franklin répondit « c’est moi », mais sa réponse se noya dans le son d’une clochette que le vieillard venait d’agiter.

Immédiatement, deux hommes baraqués, jeunes et crasseux, se postèrent de chaque côté de Franklin, comme une menace urgente. Franklin considéra rapidement les issues de la pièce, l’habit des hommes, les couteaux dissimulés. Les faussaires jusqu’à présent avaient été inoffensifs — souvent avenants, au pire soupçonneux. Franklin avait laissé son arme au Caire.

— Je cherche Paolo Dingli.

— Vous vous intéressez aux copies du masque de Toutankhamon ? demanda le vieillard sans le quitter des yeux.

— À une en particulier, répliqua Franklin.

— Laquelle ?

— Celle qui est au Musée du Caire.

Le vieillard sourit. Il lui manquait une dent.

— Une de mes clientes est prête à payer très cher pour une œuvre de cet artiste, dit Franklin en appuyant sur le mot « artiste ».

De ses quatre mois chez les faussaires, il avait retenu qu’ils étaient particulièrement sensibles à ce genre de flatterie.

— Combien ? demanda le vieillard, soudain sérieux.

— Je ne parle argent qu’avec l’artiste, rétorqua Franklin en serrant les dents et en fixant, du coin de l’œil, les deux molosses.

— L’artiste n’aime pas qu’on le dérange pour rien, dit calmement le vieillard.

Franklin ne put s’empêcher d’être décontenancé par son regard perçant qui ne vacillait jamais.

Le détective sortit de sa poche une petite liasse de mille dollars en billets de cent. Il vit les yeux des jeunes briller sans retenue, mais le vieil homme n’avait pas bougé un cil. Il le regardait toujours et Franklin se sentit mal à l’aise.

— Ce n’est qu’un acompte, bien sûr, dit Franklin.

Il sortit un billet de la liasse et le tendit au vieux.

— C’est pour vous si vous me dites où il est.

Le vieillard ne bougea toujours pas d’un millimètre, mais les deux jeunes commençaient à s’impatienter.

— Je vous dirai où il est, mais seulement si vous répondez correctement à cette question.

Franklin déglutit. Le vieux fit un effort pour prononcer les mots comme s’il avait été maître d’école :

— Quel est le détail qui vous rend certain que le masque du Musée égyptien est un faux ? Monsieur Hunter, il n’y a qu’une seule réponse.

Franklin passa en revue les centaines de clichés de l’objet, mais il savait que c’était vain. Les mouches vrombissaient dans la lumière orangée. L’une d’elles se posa sur le coin de l’œil d’un buste de pharaon, comme pour en boire l’humidité. Mais tout était sec, sauf la paume de Franklin sur son billet de cent dollars.

— C’est votre dernière chance, avertit le vieillard. Une seule réponse, sinon je vous mets dehors, mais je garde l’argent. Comment est-ce que vous pouvez être sûr…

— Je n’en suis pas sûr, déclara Franklin.

Le silence se fit à nouveau. Les colosses regardaient le vieux qui regardait Franklin. Et dans un sourire édenté, le vieillard s’exclama :

— Bien sûr que vous n’en êtes pas sûr, car ce faux est parfait ! Et pourquoi est-il parfait ? Parce que c’est le Scultore qui l’a fait ! C’est moi !

Il se leva et, toujours hilare, il marcha cahin-caha vers Franklin, prit le billet de cent, le fila aux jeunes qui se dispersèrent immédiatement et serra la main de Franklin qui se détendait.

Ils traversèrent une cour où jouaient des enfants. Franklin découvrit un atelier misérable où étaient entreposés des panneaux de bois blanchis par le soleil, des poutres qui semblaient millénaires et ce qu’il reconnut pour être des fragments de sarcophages. Sur un établi, il vit une statuette en bois ancien qui, de toute évidence, était un travail en cours ; le personnage était représenté avec une coiffure typique de l’Égypte ancienne, les bras levés et le phallus en érection, et Franklin se dit que malgré son âge, Paolo Dingli débordait encore d’imagination. Le faussaire l’invita à prendre un café dans un coin de l’atelier qui visiblement servait de cuisine aussi bien que de laboratoire. Elle était recouverte d’une couche de crasse qui avait dû s’accumuler au cours de plusieurs décennies. Franklin nota à peine l’antique évier en carrelage vert sur le bord duquel Dingli préparait le café.

— Alors, vous avez vu le luxe dans lequel vit un artiste qui travaille pour les plus grands musées du monde ? dit Dingli en riant. Mais je ne m’en fais pas, la vraie richesse, elle m’attend ailleurs. J’aurai un palais au paradis, c’est le Scultore qui vous le dit !

Franklin accepta le breuvage que le Scultore avait préparé et, malgré la propreté douteuse des tasses, il dut concéder que son café était d’une qualité irréprochable.

— Mon grand-père était de Brindisi, dit le Scultore, comme pour expliquer la qualité de son café. Il s’est installé ici en 1926, il restaurait des antiquités aussi, des pièces en bois. Mon père était scalpellino, la pierre. Et moi, j’ai fait un peu de tout. Maintenant, je fais du bois, mais… parlez-moi plutôt de votre cliente.

— J’aurais aimé être certain que c’est bien vous, le masque de Toutankhamon.

— Ah, bien sûr. La parole des faussaires, elle vaut rien, hein ? Et pourtant, mon ami, je vais vous dire, nous sommes les plus honnêtes dans cette entreprise. Ce sont ceux qui vendent notre artisanat qui mentent. Enfin bon, Toutankhamon. Quand je vous ai dit qu’il n’y avait qu’une seule réponse, vous avez trouvé la seule qui pouvait me faire plaisir ! Mais bien sûr, il y a une différence. Personne ne l’a vue, et pourtant, le Scultore, il pourrait deviner le vrai du faux un œil fermé, la nuit, derrière un voile. Même ce renard d’el-Shamy, il ne l’a pas vue, ricana-t-il.

— C’est el-Shamy qui vous a fait cette commande ? demanda Franklin, l’œil brillant.

— Bien sûr. Et quand je lui ai donné sa commande… ça s’est passé ici, là où vous êtes, ici même… Il avait apporté tout un tas de machins, une loupe, des outils, des trucs pour mesurer, il a passé, je vous mens pas, bien une heure à reluquer mon travail… Moi je rigolais. Il a rien trouvé. Ce sont les choses les plus simples qui trompent les hommes. Les hommes recherchent le compliqué, le minuscule, le tordu. Un gamin aurait pu le voir, pourtant.

— Pourquoi el-Shamy vous a-t-il demandé de fabriquer cette pièce ?

— Ah ! s’exclama Dingli. El-Shamy, c’est un drôle de larron. S’il le pouvait, il ne mettrait que des faux dans son musée et il garderait le tout dans un bunker imprenable, juste pour lui et quelques dignitaires triés sur le volet. Il hait le public, la plèbe, les touristes, sauf quand ils se pressent en foule dans ses conférences payantes, bien sûr. Il m’a dit que le masque funéraire de Toutankhamon était amené à voyager lors d’expositions internationales, et que c’était trop risqué d’envoyer le vrai, que sa place était en Égypte, leur héritage n’appartenant pas au reste du monde, etc. Il a une dent contre les Anglais et les Américains, particulièrement. À y réfléchir, les Allemands aussi. Bref, el-Shamy était pressé. Ce qu’il m’a payé pour mon travail, c’était une pitance, mais il m’a seriné que ce que j’avais fait était pour le bien de l’Égypte ― alors que voulez-vous que j’aille pinailler ? Et puis, mon fils, le cadet, il avait eu des petits ennuis avec la police, alors du coup on oubliait tout, et tout le monde était content.

Hassan était bel et bien dans le coup, se dit Franklin.

— Combien de temps ça a pris ?

— Deux semaines, pas un jour de plus, dit Dingli avec fierté.

Franklin réfléchit. Oui, ça collait. Le musée avait été fermé vingt jours.

— Deux semaines, c’est rapide, dit Franklin.

— C’est que le Scultore, il a pas les pieds dans le même sabot. Et puis, quand on a le vrai en face de soi, ça va toujours plus vite.

Franklin sursauta et renversa quelques gouttes de café sur son pantalon déjà taché.

— Le vrai pour modèle ? dit le détective, interloqué. Mais quand avez-vous fini le faux ? 

— Il y a de cela maintenant… oh comme le temps passe vite. C’était il y a presque trente ans.

Il se leva difficilement et se dirigea vers l’évier. Au-dessus était accroché un cadre dont le verre était sale de poussière et de chiures de mouches. À l’intérieur, une coupure de journal dont l’encre avait pâli avec les ans : la reine Élisabeth d’Angleterre en admiration devant la vitrine de Toutankhamon au British Museum en 1982.

— C’est mon Toutankhamon, dit le vieux en hochant la tête.

Franklin lut sur le visage de Dingli toute la fierté et toute la nostalgie de ces jours de gloire. Mais il oublia Dingli lorsqu’il vit à nouveau l’évier et son carrelage vert, et quelque chose à l’intérieur de lui se brisa.

Le carrelage vert. Il le reconnaissait, c’était celui qui était à l’arrière-plan de la photo de Toutankhamon qu’on lui avait montrée à Miami. Le cliché était de mauvaise qualité. Les soi-disant vendeurs avaient-ils retouché une photo prise ici par Dingli et l’avaient-ils fait passer pour une récente ? Avec les nouveaux logiciels, il suffisait d’un clic. Ils avaient entendu l’affaire des antiquités volées et conçu le scénario qui allait avec. Et Franklin était tombé dans le panneau.

Il semblait à Franklin que tout s’écroulait sur un doute, les deux ans de sa vie passés sur les traces d’une chimère, et encore bien plus que cela. Ses espoirs de rédemption s’échouaient-ils ici, sur l’émail fissuré d’un évier sale ? Il avait tant sacrifié pour se lancer sur les traces de ce trésor, corps et âme. Âme, surtout.

Dingli continuait de parler :

— Il a été au Met à New York, puis à Berlin, à Rome, il a fait le tour du monde des plus grands musées. C’était quelque chose.

— Vous ne savez pas s’il était au Musée égyptien ces derniers mois, par hasard, votre Toutankhamon ? dit Franklin dans un soupir.

— Vous pensez qu’il y était ? Ah, el-Shamy, il me dit rien. On ne s’est pas parlé depuis des années.

Dingli s’arrêta et considéra Franklin qui avait les coudes sur ses cuisses, la tête dans les mains. Il demanda doucement :

— Vous n’avez pas de cliente, n’est-ce pas ?

— Non. Mais vous m’avez bien aidé quand même, dit Franklin en lui tendant un autre billet.

Dingli prit le billet et l’observa un moment.

— On ne me demande plus de faux, les vrais sont si simples à trouver de nos jours. Vous n’êtes pas aussi vieux que moi, mais vous avez de la bouteille aussi, vous devez le ressentir déjà. Nous autres, on ne sert plus à grand-chose. Des dinosaures, qu’on est. Des dinosaures qui gênent. Plus personne n’écoute nos conseils. Et pourtant, on en a appris des choses toutes ces années, hein ?

Franklin se redressa et se passa la main dans les cheveux. Il était temps de partir. Mais il se demanda où partir, si vraiment il n’y avait plus rien à trouver. Le Toutankhamon de la pyramide était peut-être réellement faux et faisait partie du décor des visites de Nasser, comme l’avait dit la police — alors que le vrai avait véritablement été épargné par les pilleurs. Il s’acharnait à ne jamais croire les apparences et, pourtant, n’étaient-elles pas souvent justes ? Son café était froid. Il dit :

— S’il vous plaît, servez-moi encore de votre café et dites-moi quel est votre secret, Scultore.

Le vieillard lui sourit comme s’il était un ami de longue date.

— Le bleu, dit-il, en montrant sa dent en moins.

— Le bleu ?

— La pâte de verre bleue. L’original est une imitation du…

— … lapis-lazuli, interrompit Franklin. Et le vôtre aussi, n’est-ce pas ?

— Je vois que vous avez lu les encyclopédies, monsieur Hunter. Venez, je vais vous montrer quelque chose.

Franklin suivit Dingli dans une autre partie de l’atelier, un petit débarras encombré, dont le vieil homme ferma la porte. Franklin se retrouva dans l’obscurité totale jusqu’à ce que le faussaire allume une ampoule blafarde qui pendait au plafond. Il ôta une toile de jute qui se trouvait au sol et Franklin découvrit plusieurs douzaines de pots de toutes tailles. Certains contenaient de la peinture, d’autres de la poudre, d’autres des fragments de verre, d’autres de la pâte. Mais tout ce qui était dans les pots était bleu.

— Lequel de ces bleus est du lapis-lazuli ? demanda Dingli avec un sourire en coin.

Franklin scruta tous les pots. Il écarta mentalement ceux qui tiraient trop vers le turquoise ou le bleu foncé ou le violet, mais il en restait bien une dizaine qui aurait pu correspondre à la couleur du masque. Timidement, il montra du doigt un pot. Dingli sourit, puis ouvrit la porte et les volets d’une fenêtre et le soleil entra dans la pièce. Franklin regarda à nouveau les pots. Leur couleur avait changé, il ne fut plus certain de son choix. Il allait en choisir un autre lorsque la lumière changea à nouveau, Dingli avait tiré un voile orange sur la fenêtre. Franklin jeta les mains en l’air.

Le vieillard était ravi de son effet. Il dit :

— Le fameux bleu égyptien est fait à partir d’une pâte de verre à base de silicate de calcium cuivre et vient bel et bien d’Égypte.

Dingli s’empara d’un des pots contenant un bleu pur et vibrant.

— Mais le bleu de mon Toutankhamon, continua-t-il en fouillant dans ses pots, lui, a commencé son voyage à Jodhpur, en Inde. Il a ensuite été exporté au temps de Pline l’Ancien sous l’Empire romain. Le voilà, c’est l’indigo.

Dingli posa le pot de peinture indigo à côté du bleu égyptien et Franklin put voir qu’il était légèrement plus violet. Il comprenait : son appareil photo avait peut-être capté les nuances de couleur, il suffisait d’un changement d’éclairage, et toute différence s’évanouissait.

— L’homme ne sait pas regarder, croyez-en un vieil homme comme moi, dit Dingli qui rangeait ses pots. L’humanité marche avec des œillères, un œil dans le futur, un œil dans le passé, le présent défile sans qu’on prenne le temps de le regarder. Même les artistes sont souvent aveuglés par ce qu’ils appellent leur « vision ». Mais les copistes, hein ? Eux savent apprécier les immenses trésors que nous avons déjà, qui sont là, tout près. La beauté est partout, il faut juste prendre le temps, monsieur Hunter, prendre le temps d’en apprécier le miracle. De comprendre l’équation. Vous savez, on nous appelle les faussaires, mais finalement nous sommes les seuls à regarder le vrai. Rappelez-vous ce qu’il a dit, le vieux Scultore.

— Scultore, dit Franklin avec respect, vous mourrez en sachant que vous étiez le plus grand faussaire d’antiquités égyptiennes.

— Oh, non. Je suis trop vieux pour ces illusions-là. Le Scultore, il a fait du bon travail, mais… si un jour vous voulez voir l’œuvre d’un grand, d’un copiste qui va au-delà des maîtres de l’Égypte ancienne, qui célèbre leur génie et le multiplie encore, qui en fait des œuvres d’art pour les siècles à venir, il n’y en a qu’un seul aujourd’hui capable de ça.

— C’est qui ?

— L’Arménien. Oxan Aslanian.

— Oxan Aslanian, le maître de Berlin ? s’exclama Franklin. Il est mort il y a cinquante ans.

— Pas lui, son arrière-petit-fils. Enfin, c’est ce qu’on dit.

Le vieillard sembla perdu dans ses pensées pendant un instant.

— Mais si vous n’avez pas entendu parler de lui, ça ne m’étonne pas. Moi je suis vieux, je suis prêt, vous me comprenez ? Mais les jeunes de Gourna et de Mit-Rahineh et de Khan el-Khalili, ils ont encore la vie devant eux, ils ne sont pas prêts. Alors ça vaut mieux qu’ils ne parlent pas de l’Arménien. Ça vaut mieux. Et ça vaut mieux pour vous aussi, croyez-en le Scultore.

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