Chapitre 34
Souterrains

Le Caire, le 22 octobre
« Hello, c’est bien la messagerie de Flo, merci de laisser les bonnes nouvelles après le bip et les mauvaises après avoir raccroché. Biiiiip. »
— Salut Flo, c’est Max. Je suis bien arrivé au Caire. Désolé, je n’ai pas que des bonnes nouvelles. J’ai vu Franklin Hunter, apparemment il s’est trompé, il n’y a plus d’affaire Toutankhamon, si l’information t’est utile pour le boulot. Excuse-moi pour hier, euh, j’étais un peu stressé et, euh, j’ai oublié de te demander comment ton meeting important s’était passé, et si tu travaillais toujours sur ton projet. Tu m’en parleras quand je rentrerai. Euh, bon, eh bien, je t’embrasse.
Max raccrocha. Il était presque minuit dans les rues du Caire, il attendait un taxi. Enfin, la voiture arriva, il s’y engouffra, avec une béquille. Direction les pyramides de Gizeh. Ils roulèrent dans Le Caire. Par la vitre baissée, il décelait les odeurs de la ville. Il aimait tant ces lieux, même depuis ce qu’il avait vu dans les ombres de ses merveilles. Il se perdit en pensées, vit le visage de Sixtine en transparence sur les palmiers qui défilaient dans la nuit. Le chauffeur dut lui faire signe qu’ils étaient arrivés. Max lui donna le prix de la course avec un supplément et lui demanda de l’attendre. Il en aurait pour une demi-heure au plus.
Joe, le grimpeur amateur, était déjà là, comme Shiriko l’avait dit. Il avait à peine vingt ans, ses cheveux coiffés à l’iroquoise. Ils se présentèrent rapidement, et Joe débita :
— J’ai fait leur connaissance il y a trois jours. J’étais en haut, avec un pote. Et on regardait la ville, tu vois. Je regardais le plateau, comme ça. J’ai vu un mec sortir de terre. Il était venu de nulle part, et là, il sort de terre, comme un gros ver, là, moi je pensais que je tripais grave. Et puis, j’ai vu un deuxième qu’est sorti de là. Je l’ai dit à mon pote. Il m’a dit : « T’hallucines ». Mais en fait, j’hallucinais pas. J’ai pris des photos. (Il lui montra son téléphone, le dernier modèle d’iPhone.) Genre, il y a un tunnel là-dessous. Bon, là, on voit rien. Mon pote, il a voulu aller les voir. Je voulais pas, au départ, mais il m’a dit : « C’est clair qu’ils ont pas l’air d’avoir le droit d’être là ». Mon pote il aime bien se faire plein de potes partout, il est un peu naïf, mais bon. En fait, les mecs, ils étaient cool.
Joe marqua une pause, puis donna un coup de menton en direction de la jambe de Max.
— Mais euh, Shiriko, elle avait pas dit que t’avais une jambe en vrac, ça va être un peu chaud pour toi. C’est plutôt hardcore, les mecs, ce qu’ils font.
Max lui dit de ne pas s’inquiéter pour lui et ils commencèrent leur marche à travers le plateau. Environ trois cents mètres plus loin, dans la direction opposée à la pyramide de Khéops, ils décelèrent un petit groupe dans l’obscurité. Joe s’en approcha et présenta Max.
Ils étaient trois, très jeunes, pas plus de dix-huit ans. Ils étaient couverts de poussière, avec les cheveux et les sourcils gris. Un seul parlait un anglais approximatif. Le plus grand des trois tenait un pistolet si vieux que Max douta qu’il puisse fonctionner. Le jeune architecte leur parla en arabe, ce qui les détendit.
— Il va jusqu’où, votre tunnel ?
— Jusqu’à la pyramide, la grande, dit fièrement l’un d’eux, le plus petit.
Max remarqua qu’il avait un petit tatouage en forme de losange à l’intérieur du poignet.
— Y a pas mal de tunnels par ici, mais il y a que le nôtre qui va jusqu’à la pyramide. On m’appelle Spidey, comme Spiderman.
— Enchanté. Et arrivés à la pyramide, vous faites quoi ?
— On y est juste arrivés hier, on a commencé à percer, mais on est arrivés à de la pierre plus dure, genre granit, alors on a arrêté.
Ils creusent dans la maçonnerie, c’est insensé, pensa Max. Il pensa aussi à sa jambe qui lui faisait mal et aux quatre cents mètres de tunnel jusqu’à la pyramide. Pourtant, il dit :
— Vous pouvez m’y emmener ?
— La visite est payante, dit celui avec le flingue.
Max négocia le tour à une cinquantaine de dollars. En sortant ses billets, il demanda :
— Ils s’écroulent parfois, vos tunnels ?
— Y en a un qui s’est écroulé avant-hier, dit Spidey. Mais les types qui l’avaient fait, c’étaient des bouffons, ils ne savent pas creuser.
Joe annonça qu’il ne sentait pas trop le truc et qu’il rentrait à son hôtel. Max se retrouva seul avec les trois pilleurs. Il regarda une dernière fois au loin, vers l’avenue éclairée, où son taxi l’attendait toujours. Il faillit changer d’avis, prendre le taxi, rentrer à l’hôtel. Et c’est ce qu’il aurait fait s’il avait suivi son instinct. Mais quelque chose lui disait que cette opportunité qui s’offrait à eux serait la seule. Il repensa à Sixtine et cette vision lui donna du courage.
Les trois jeunes durent l’aider à descendre par une échelle en bois à l’intérieur d’un trou étroit d’environ cinq mètres de profondeur. C’est de là que partait le tunnel, qui était assez large pour qu’on puisse y ramper, mais un homme ne pouvait en aucun cas y tenir debout. Max avait pris avec lui dans un sac à dos, une lampe de poche et un GPS qui lisait sa position en souterrain. Les pilleurs avaient aussi des lampes, un pic chacun et des sacs à dos Nike. L’un d’entre eux était attaché à une corde, qui faisait un gros tas à l’entrée du trou. Spidey lui expliqua que l’un des trois restait à l’entrée du trou avec un bout de la corde, ce qui les aidait à communiquer.
Ils s’engouffrèrent dans le tunnel. Les cent premiers mètres furent supportables. Mais à mesure que l’air devenait rare, à mesure que l’angoisse le gagnait, Max voyait des choses sous ses mains et sous ses pieds. Il y avait des os, du textile, de la poterie cassée. Parfois, Spidey, qui ouvrait la marche, saisissait quelque chose, l’inspectait et le mettait dans son sac à dos. Ce dont il n’avait pas l’utilité il le balançait derrière lui. Max reconnut l’un des objets qu’il avait rejetés : un petit crâne d’enfant, avec les cheveux toujours attachés. Max se souvint que le tunnel traversait les mastabas, les cimetières des ouvriers qui avaient bâti les pyramides.
Il eut envie de vomir plusieurs fois. Plusieurs fois, il sentit la panique brutale envahir sa tête. Ses jambes lui faisaient atrocement mal. Mais il continua. Son GPS, comme une bouée de sauvetage, lui disait qu’ils n’étaient plus loin. Enfin, Spidey stoppa. Le tunnel s’arrêtait là, bouché par un mur de pierre sombre.
Ils étaient arrivés à la pyramide.
Spidey montra à Max la pierre grise qui résistait aux pics. En effet, Max confirma que c’était du granit. Il nota que, pour arriver à cette pierre, ils avaient dû percer une paroi constituée d’un bloc de calcaire d’un mètre environ. Il était perplexe : une maçonnerie à cet endroit n’avait pas de sens. Il sortit son GPS pour vérifier la profondeur du tunnel : ils étaient seulement à trois mètres de profondeur. Ils butaient contre les fondations… avec du granit ? Puis Max regarda à nouveau son écran. Il remarqua autre chose : ils s’étaient arrêtés cinquante mètres trop tôt.
— Ce n’est pas la pyramide, ce mur, dit Max.
— Qu’est-ce que tu dis là ? Bien sûr que c’est la pyramide, dit Spidey.
— Si c’est pas la pyramide, que veux-tu que ça soit ? dit l’autre derrière. Il n’y a pas de bâtiment à côté.
Max devait bien admettre qu’il partageait son avis. Si ce n’était pas la pyramide, qu’est-ce que ça pouvait être d’autre ? Le plateau était certainement l’un des coins les plus fouillés au monde. Aucun bâtiment ne se trouvait ici. Max avait du mal à réfléchir. La claustrophobie menaçait de neutraliser ses sens. Il en avait assez vu. Il dit aux pilleurs que la visite était finie, qu’il voulait faire demi-tour. Ils grognèrent que c’était bien la pyramide contre laquelle ils butaient, mais rebroussèrent chemin de bonne grâce. Le pilleur de devant tira la corde deux fois. Ils avaient expliqué à Max que c’était le signal du retour adressé à celui qui était à la surface. Mais Max vit Spidey se figer. Il répéta le signal en tirant deux fois.
— Merde. Il répond pas.
L’autre, qui était derrière, passa devant Max en le poussant. La douleur paralysa sa jambe et il ne put retenir une grimace. Le deuxième pilleur tirait sur la corde comme un malheureux. Mais pour toute réponse, la corde restait immobile.
— Ça craint, il faut qu’on sorte de là, dit Spidey.
Ils rampèrent tous les deux aussi vite qu’ils le pouvaient et bientôt Max fut à la traîne, la lumière de leurs lampes s’éloignant de plus en plus.
— Attendez-moi ! s’écria-t-il.
Et soudain, après un craquement et un bruit étouffé, un nuage de poussière envahit le faisceau de lumière. Puis un silence.
Le tunnel venait de s’effondrer.