Chapitre 35
Programmes (II)

Londres, le 22 octobre
« Bonjour, vous êtes bien sur le portable de Max Hausmann. Je ne suis pas disponible actuellement… »
Florence raccrocha, une boule d’angoisse dans le ventre. Elle avait essayé de joindre Max depuis son départ plusieurs fois, mais il ne répondait pas. Elle travaillait tard à White City, dans les bureaux de la BBC. Elle n’arrivait pas à croire qu’il n’y avait plus d’affaire Toutankhamon. Elle avait aussi essayé le portable de Franklin, en vain. Tout s’effondrait.
Elle s’efforçait de voir le positif. Elle commençait déjà à écrire un autre pitch pour Jim et Gayle. Il fallait sauver la face à tout prix.
Mais son malaise était ancré plus profondément. Il datait du meeting avec Jane, trois jours auparavant. Son entrevue avec Max la veille n’avait rien arrangé. Pourtant, elle ne cessait de se dire que, si son ami venait à trouver l’accès à la chambre X, il lui serait reconnaissant d’en avoir parlé à ces gens haut placés qu’elle connaissait. Max Hausmann deviendrait la vedette d’un documentaire sérieux et acclamé par la critique. L’argent qu’il recevrait lui permettrait de continuer ses recherches, de voyager, de vivre mieux. Elle était comme une fée qui réalisait les rêves qu’il n’avait pas encore — et il l’aimerait pour cela, elle en était sûre. Pourquoi, alors, ce goût amer qui revenait sans cesse quand elle pensait à lui ? Et s’il ne trouvait jamais le passage ?
À ce moment, Andrew arriva dans son bureau.
— Hey, Mornay.
— Hey, dit Florence, sans lever les yeux de son ordinateur.
Andrew mangeait des chips du distributeur. Il s’assit sur un coin du bureau.
— Dis, ton type, là, la star de l’affaire Toutankhamon, c’est bien Franklin G. Hunter ? dit-il en postillonnant des chips sur les papiers.
— Mmmh, dit Florence, qui espérait que son manque d’intérêt flagrant finirait par le faire partir.
— OK.
Et il restait là, à quelques centimètres de Florence, à croquer ses chips et à malaxer le sachet en plastique. Depuis qu’il était arrivé, Florence feignait de travailler, mais il faisait tellement de boucan qu’elle n’arrivait même plus à jouer la comédie.
— Bon qu’est-ce qu’il y a ? Tu veux me dire quelque chose, là ? Crache le morceau. Enfin, façon de parler. Tu sais que les chips à la ciboulette, Andrew, vraiment ça n’aide pas à améliorer ta popularité ?
— Mouais, dit Andrew. Ce que je voulais te dire, c’est que j’ai taillé le bout de gras avec un associé de De Bok, l’autre jour.
— T’as pu avoir une interview avec De Bok ?
— Non, toujours pas. Je pense vraiment que tu lui as fait peur avec ta musaraigne.
— Fascinante analyse, dit Florence sans lever les yeux de son ordinateur.
— Toujours est-il qu’on discutait et j’ai mentionné ton type, Hunter. Il m’a dit : « Franklin G. Hunter ? » J’ai dit : « C’est notre homme. » Et il m’a dit : « Ben mon cochon, tu t’es bien fait avoir. » Et il s’est mis à rigoler. J’ai bien dit que c’était pas mon contact, que c’était le tien, et il a eu la gentillesse de clarifier le truc en m’envoyant un mail.
Andrew sortit son iPhone et ses doigts graisseux glissèrent sur l’écran tactile.
— Je te l’envoie. On s’est fait rouler sur toute la ligne. Le mec est une fraude totale. Je serais toi, je n’y toucherais pas, même avec des gants, Mornay.
Il s’éloigna avec son paquet de chips et son odeur de ciboulette industrielle, avant de lancer à travers tout l’open plan :
— Et au fait, le passage secret de la grande pyramide, c’est dans la boîte ? Dis-moi quand tu vends les tickets pour la visite !
Il gloussa aussi fort qu’il le put et disparut. Florence serra les dents, cliqua sur l’email d’Andrew et parcourut toutes les pièces jointes.
Puis elle prit sa tête dans ses mains.