Chapitre 38

Programmes (III)

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Falmouth Manor, le 24 octobre


Florence raccrocha le téléphone. Elle venait de parler à Franklin Hunter, qui avait confirmé son passé d’agent disgracié du FBI, mais aussi les propos de Zahara qui enfin prouvaient ce qu’il suspectait depuis presque deux ans. Il avait également détaillé le scénario impliquant Hassan et el-Shamy dans le meurtre de Seth et l’exemple qu’ils en avaient fait pour Nasser, le messager réticent.

Elle s’installa dans son fauteuil au milieu du grand hall aux moulures en bois, en face de l’immense cheminée où crépitaient les bûches. Elle aimait bien se réfugier dans les Cornouailles quand le chaos de Londres devenait trop pesant. Elle avait averti ses collègues que pendant plusieurs jours, elle « travaillerait de la maison ». Andrew n’avait bien sûr pas hésité à faire un commentaire sarcastique. Il était aussi la raison pour laquelle elle ne supportait plus son bureau. Et dire qu’elle devrait le souffrir à Paris dans quelques jours, lors du tournage de la vente de Néfertiti. Un problème à la fois, se dit-elle en inspirant profondément.

Elle n’avait toujours pas parlé au reste de l’équipe des trouvailles des derniers jours, mais elle ne doutait pas qu’Andrew l’avait déjà fait pour elle. Les découvertes de Franklin étaient tombées à pic, mais Jim et Gayle recevraient-ils quoi que ce soit provenant de Franklin ? Il fallait quelque chose de plus tangible. Elle en vint encore une fois à la même conclusion : point de salut tant que le passage de la pyramide n’avait pas été découvert.

Elle feuilleta le rapport sur le meurtre de Seth. Mais elle l’avait déjà épluché tant de fois, c’était peine perdue, elle le jeta par terre. Elle scruta à nouveau la petite momie, sur la cheminée. Une espèce disparue, avait dit De Bok. Crocidura balsamifera. C’était étrange de nommer après coup une créature qui n’était plus vivante depuis longtemps. Comment les anciens Égyptiens, eux, appelaient-ils sa petite musaraigne ? Elle possédait sûrement l’un des derniers exemplaires de cet animal. Crocidura balsamifera. Ce nom lui fit penser à Nymphaea caerulea. Le nom de la plante trouvée dans la chambre X et mentionnée dans le rapport. Soudain, Florence réalisa qu’ils avaient délaissé la problématique de la pièce à conviction végétale. Que faisait-elle là, cette fleur, sur la scène de crime ?

Nymphaea caerulea. Une recherche rapide sur son ordinateur portable lui apprit que c’était la fleur du nénuphar bleu, appelée aussi le lotus bleu. Qu’elle était le symbole de la haute Égypte. Que les anciens Égyptiens l’ingéraient lors de leurs fêtes, après l’avoir trempée dans du vin. Qu’elle contenait de l’apomorphine, des substances narcotiques et hallucinogènes.

De la drogue.

La donne changeait.

Florence ressentit comme un flash de lucidité. Hassan et el-Shamy avaient-ils drogué Seth Pryce avant de le tuer ? Auraient-ils attiré Seth et Sixtine à l’intérieur de la pyramide, leur proposant de vivre une soirée inoubliable digne des pharaons, d’ingérer, plutôt que la cocaïne à laquelle ils étaient probablement habitués lors de leurs nuits new-yorkaises, des lotus bleus ? Tout cela concordait avec le scénario de Hunter, mais personne n’avait encore parlé de drogue.

Florence tourna vite les pages jusqu’au rapport d’autopsie pour vérifier si des traces de substances avaient été retrouvées dans le corps de Seth, mais le texte était opaque, avec des termes médicaux et des chiffres incompréhensibles. Il fallait que quelqu’un le traduise pour elle, en langue courante. Elle se souvint qu’un ami de son père, docteur Maleh, un chirurgien, parlait l’arabe. Elle scanna les pages en anglais et en arabe et les lui envoya. Tout s’enchaînait et Florence ne voyait pas le temps passer. Puis soudain, une autre idée vient prendre la place de toutes les autres : si on avait perdu la trace des humains, peut-être pouvait-on retrouver la trace des fleurs ?

La nuit était tombée rapidement et son visage n’était plus éclairé que par la lumière de l’écran de son ordinateur portable.

Elle découvrit que le lotus bleu, qui poussait sur les bords du Nil, était aujourd’hui rare. Pour obtenir une centaine de fleurs comme celles qui avaient été retrouvées dans la chambre X, il fallait s’adresser à quelques fermes spécialisées en Égypte — ou en Thaïlande. Florence paria sur l’Égypte et eut l’idée d’appeler un organisateur de mariages, prétextant des noces au Caire, qu’elle voulait célébrer dans un décor de lotus bleus. La mariée souhaitait connaître les fournisseurs.

Dans le même souffle, elle appela Max. Son téléphone ne répondait toujours pas. Un instant, le malaise familier traversa son esprit, multiplié. Mais elle repensa à la découverte des plantes et un frisson d’excitation effaça ses peurs. Elle traquait la vérité et les pièces se mettaient en place. Florence se cala au fond de sa chaise, posa ses pieds sur la table basse encombrée de tasses de thé et se mit à rêvasser.

Et dans ses rêves, il y avait toujours Max.

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