Chapitre 46
La Promesse Faite À Naya

Gizeh, le 29 octobre
— J’ai besoin de papiers, pour moi et Spidey. J’ai besoin de contacts, là-bas, à Londres. Et j’ai besoin d’argent. Je sais que vous n’êtes pas venu pour chercher des antiquités. Spidey m’a dit que vous vouliez trouver un accès vers la pyramide. Je peux vous aider.
Le regard de cette gamine était incandescent de détermination et sa présence incognito dans la cour d’une blanchisserie désarçonnait Max. Assise sur une caisse, au milieu du linge qui séchait sur des fils encombrés, elle lui expliquait en détail ce dont elle avait besoin, dans un anglais à la prononciation maladroite, mais au vocabulaire exact. Elle voulait faire sa vie à Londres avec Spidey et elle devait partir d’Égypte le plus vite possible. Ce qu’elle demandait ne semblait pas impossible à fournir, mais Max savait que la moindre promesse qu’il lui ferait serait solennelle. Le visage encadré de noir de la vieille blanchisseuse, complice et protectrice de Naya, apparaissait parfois derrière le linge suspendu, puis disparaissait, projetant des ombres fuyantes sur les draps qui claquaient dans l’air lourd de cette fin de soirée. Oui, avec l’aide de Florence et peut-être celle de Sixtine, il avait la conviction qu’il pouvait obtenir ce qu’exigeait Naya. Max observa cette toute jeune femme, voilée de blanc au milieu des draps, les yeux vers la pyramide qui masquait la lumière, et il y avait quelque chose d’aérien et de combatif dans sa silhouette tendue. Une vierge guerrière d’un temps lointain. Un reflet d’innocence passa dans ses yeux quand Max lui annonça qu’il acceptait le marché, mais bien vite elle ne fut plus que sang-froid et témérité. Elle attendait les questions, contrepartie des services rendus.
Max lui montra sur son téléphone portable une photo de Florence.
— Avez-vous déjà vu cette femme ?
Naya répondit non sans aucune hésitation. Max était soulagé : elle dirait la vérité. Il fit apparaître une photo de Seth Pryce. Mais Naya affirma ne l’avoir jamais vu non plus. Sixtine ? Non plus. Hassan ? Pas davantage. Max serra les dents. Ce n’étaient pas les réponses qu’il avait espérées.
Il montra une photo d’el-Shamy prise à la conférence de presse sur Néfertiti.
— Oui, c’est el-Shamy. Il est venu chez nous il y a quelques mois. C’était le 16 juin.
Quelques jours seulement avant la découverte des corps, pensa Max, mais deux jours après la visite nocturne de la pyramide par Nasser. Ça ne collait pas.
— Comment pouvez-vous être sûre de cette date ? C’était il y a trois mois, dit Max.
— Je le sais, car il est venu le soir de la première visite chez nous des parents de mon fiancé, Ahmed, celui que mon père veut que j’épouse. Ma mère me parlait du 16 juin depuis deux mois. El-Shamy est venu parler à mon père, c’était urgent, mais je ne sais pas à quel sujet il était là. Il est resté une bonne heure, ma mère était furieuse. Les invités sont partis plus tôt que prévu.
— El-Shamy était déjà venu ?
— J’avais entendu parler de lui par mon grand-père, mais je ne l’avais jamais vu avant.
— Il aurait pu venir dans la journée sans que vous le voyiez ?
— Oui, il aurait pu. Je travaille tous les matins à la blanchisserie. Je suis à la maison la plupart des après-midi. Et toutes les nuits.
Max sentait que le temps passait et que ces minutes avec Naya étaient précieuses. Pourtant, rien de ce qu’elle avait révélé ne lui était utile.
— Une livraison de fleurs début juin, ça vous dit quelque chose ?
— Des lotus ?
— Oui, dit Max soudain tendu. Qu’est-ce que vous en avez fait ?
— Je ne sais pas. J’ai seulement vu le carton, je ne pensais pas qu’il y avait vraiment des fleurs dedans. Il est arrivé le soir où De Bok était là. Mon grand-père est resté tard…
— Qui est venu chez vous ? l’interrompit Max.
— Yohannes De Bok. Un antiquaire, c’est un ami de mon grand-père.
Le cerveau de Max bouillonnait de l’excitation de voir des fils se tendre entre les pièces du puzzle, mais la signification de ces connexions lui échappait. De Bok, le découvreur de Néfertiti ?
— Parlez-moi de De Bok. Comment le connaissez-vous ?
— Je me souviens de la première fois que je l’ai vu, j’étais petite. J’aimais bien quand il venait, il m’apportait toujours un cadeau. Il achetait des antiquités à mon grand-père, mais il venait aussi parfois pour discuter. Il y a encore quelques années, mon grand-père possédait de belles pièces, pas des pièces comme celles que trouve Spidey, des vrais trésors, en or et tout. Dès qu’on avait besoin d’argent, il en vendait une à De Bok. Mais la révolution était à peine commencée qu’on avait déjà tout vendu. Tout ce qui reste, c’est ce que mon père récupère par-ci par-là, ce que les pilleurs viennent lui proposer, c’est l’intermédiaire — mais ces pièces-là, De Bok n’y touche pas. Quand j’ai vu l’antiquaire le soir des lotus, je ne l’avais pas vu depuis quelques années, et je savais bien que c’était juste une visite de courtoisie, on n’avait plus rien à lui vendre. Il m’a dit que j’avais grandi, que j’étais une belle femme à présent, puis il est parti parler avec mon grand-père. Je ne l’ai pas entendu partir, je devais être endormie.
— Vous ne vous souvenez de rien d’autre concernant ce soir-là ?
— Non…
Naya avait les yeux dans le vague, paraissant se souvenir de quelque chose, mais ne pas savoir si elle devait les révéler.
— Vous êtes sûre ?
— Je me souviens d’un camion neuf garé devant chez nous.
Naya s’était arrêtée de parler. Max pensa que seuls les gens pauvres pouvaient remarquer qu’un camion était neuf. Comme si elle avait lu dans les pensées de Max, Naya ajouta :
— Il y a toujours eu des gens riches qui sont venus chez nous. Ma mère râle, elle demande pourquoi on est si pauvres. Mon grand-père dit qu’on a assez. J’ai toujours pensé qu’il faisait de la contrebande.
— Ces gens riches, vous connaissez leurs noms ?
— Non. Mais je pourrais les reconnaître.
Max décela un changement sur le visage de Naya. Elle souriait en coin et ne regardait plus Max qu’en œillades pétillantes. Envolée, la guerrière au sang-froid, Naya devenait une adolescente mutine.
— Vous vous souvenez de l’un d’eux, peut-être, dit Max, dont le sourire complice faisait écho au sien.
— Il n’est pas venu chez moi, s’empressa de dire Naya. Mais je l’ai vu avec mon grand-père, dans la rue. Un homme grand, mince, les yeux gris, avec des habits qui avaient l’air chers.
— Quel âge ?
— Un peu vieux. Trente ans peut-être ?
— Vous l’avez vu quand ?
— Quelques jours avant la soirée avec De Bok, justement. Les filles de la blanchisserie l’ont vu avec mon grand-père, elles n’ont pas arrêté de m’en parler, elles voulaient toutes l’épouser.
Max réalisa que ces frivolités lui faisaient perdre son temps et retrouva son sérieux :
— L’accès à la pyramide… Vous m’avez dit que vous pouviez m’aider…
Naya reprit ses airs de guerrière et dit :
— Spidey m’a appris que vous cherchiez un accès. Je pense que… que mon grand-père en a creusé un.
— Comment vous le savez ?
— Ça remonte à quand j’étais enfant. Il me racontait des histoires de tunnels qui allaient vers la pyramide, qu’il y avait des trésors dans des passages et que ceux qui les gardaient secrets connaîtraient toujours la prospérité. Les histoires se sont arrêtées quand j’ai grandi, mais j’y ai toujours pensé.
— Votre grand-père a-t-il déjà parlé d’une rivière… ou d’un canal souterrain ?
Naya le dévisagea.
— Une rivière ? Non… non, je ne me souviens pas. Mais une fois, je devais avoir douze ans, j’ai fouillé dans la remise, parce que je voulais savoir, trouver les outils pour creuser peut-être, voir quels trésors mon grand-père ramenait de ces tunnels. J’ai vu qu’il y avait… des portes, et des endroits sous la maison, qui ne ressemblaient pas à des pièces normales.
Max avait retenu son souffle, n’osait pas poser les questions qui martelaient son esprit.
— Ces pièces… allaient-elles jusqu’à la pyramide ?
— Je ne sais pas. Mon père m’a attrapée et j’ai été punie.
Elle leva les yeux sur Max puis les rabaissa aussitôt. Elle continua en murmurant :
— Mon père… j’ai décidé que je partirais de la maison dès que je le pourrais. J’ai rencontré Spidey parce qu’il creusait des tunnels, et je pensais qu’il y trouverait… Enfin, c’est autre chose. Mais je crois que les hommes riches viennent voir mon grand-père parce qu’il connaît ces passages.
Ses yeux rencontrèrent ceux de Max et ils restèrent immobiles.
— Je le crois aussi, dit Max, en sortant l’image satellite, sur laquelle il avait tracé en rouge la ligne du tunnel supposé. Vous voyez, là, c’est une structure souterraine. Elle part de Khéops, et elle vient se perdre à Gizeh. Peut-être votre grand-père connaît-il l’accès…
— Si vous me trouvez ce qu’il me faut pour partir, interrompit Naya, je vous trouverai le tunnel. Mais excusez-moi, je dois y aller à présent.
Max écrivit sur un bout de papier ses coordonnées, qu’elle fourra dans une poche invisible sous son voile. Elle murmura qu’elle l’appellerait bientôt.
— Attendez ! dit soudain Max.
Le bel homme dont venait de parler Florence. Les mêmes individus gravitaient autour de cette affaire. Se pouvait-il que… ?
Il saisit son smartphone, tapa le nom sur Google. Un nom inoubliable, unique.
Une photo de Thaddeus di Blumagia apparut sur l’écran.
— C’est lui ? demanda Max, anxieux.
Naya regarda l’image et sourit timidement.
— Il est mieux en vrai. C’est lui.
Puis elle s’enfuit à travers les draps blancs, laissant Max avec un goût amer dans la bouche et l’image brûlante d’un homme que Sixtine aimait.
Le lendemain, il recevait un message de la propriétaire de la blanchisserie :
Naya a trouvé.
Mais avant que Max puisse se laisser aller à la joie, les mots d’el-Shamy résonnèrent dans son crâne :
Hausmann, si jamais vous trouviez ce passage dans la pyramide, vous ne l’emprunteriez que dans un sens. Vous me comprenez ?