Chapitre 49

Les Espérances De Vie

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Paris, le 30 octobre


Florence était assise sur le bord de son lit d’hôtel, où gisaient sa valise prête et son billet d’avion pour Le Caire dans quelques heures. Elle faisait défiler sur l’écran de son smartphone, pour la troisième fois, un message de ce chirurgien, ami de son père, à qui elle avait envoyé le dossier concernant Seth Pryce.

Des niveaux élevés de bilirubine, de phosphatase alcaline et de gamma glutamyl transpeptidase, la présence d’une angiocholite sclérosante : la victime était atteinte d’un cholangiocarcinome, un cancer attaquant les voies biliaires intrahépatiques. Le chirurgien expliquait les symptômes, les douleurs abdominales aiguës, puis la fatigue, la perte de poids, voire les vomissements et les démangeaisons. L’autopsie montrait que le patient n’avait pas assez de foie sain pour qu’une ablation soit possible.

Le docteur Maleh était formel : Seth Pryce n’avait plus que quelques mois à vivre. Et il le savait.

Florence resta immobile pendant plusieurs minutes, laissant cette nouvelle information prendre sa place parmi les autres, mais c’était la pièce du puzzle qui ne rentrait pas. Seth Pryce allait mourir. C’est-à-dire qu’il savait n’avoir plus rien à perdre. À présent, elle comprenait l’hélicoptère qui disparaissait, l’achat d’un masque de Toutankhamon impossible à revendre. Et les moments passés dans la pyramide, un rêve de gamin qu’on réalise en urgence. Il avait sûrement commandé les fleurs lui-même. Mais alors, quel était le rôle d’el-Shamy et d’Hassan ? Elle écrivit en hâte une réponse au chirurgien où elle posait la question qui tout d’un coup s’imposait comme une évidence :

Seth Pryce s’est-il suicidé ?

Quand elle entendit le son qui signalait que le message avait été envoyé, elle composa le numéro de Max. Contre toute attente, il décrocha et dit rapidement :

— Flo, je crois que j’ai trouvé le passage.

Florence faillit en faire tomber son smartphone. Elle s’écria :

— Max, tu me racontes pas de blagues, c’est vrai ?

Max riait au bout du fil. Il lui raconta son entretien avec Naya, et Florence n’arrêtait pas de l’interrompre avec des cris de joie. Finalement, ils se calmèrent, et Max lui demanda pourquoi elle l’appelait.

— Écoute, je sais pas trop ce qui se passe, tout va très vite. Je viens d’apprendre que Seth Pryce allait mourir de toute façon et qu’il savait qu’il était condamné. Un cancer du foie. Et puis, j’ai rencontré sa femme tout à l’heure, c’est bizarre.

— Sixtine ? interrompit Max.

— Pardon ? Non, Jessica, Jessica Pryce. Enfin, je crois. Qui est Sixtine ?

Max ne répondit pas.

— Max ?

— Comment tu sais que c’était Jessica Pryce ? dit-il d’une voix grave.

— J’ai vu son tatouage, sur son ventre.

— N’importe qui pourrait avoir ce tatouage.

— Je sais, mais je suis allée voir le dossier de Hunter, les photos d’elle sur le lit d’hôpital, et je te promets, c’est elle.

Florence raconta la vente de Sotheby’s, son enchère perdue.

— Je l’ai revue aujourd’hui. On ne devait filmer que la vente de la momie hier, donc l’équipe est déjà rentrée à Londres, mais quand j’ai découvert que Jessica Pryce était présente hier soir, je me suis dit qu’elle serait peut-être à la deuxième partie de la vente aujourd’hui. Bingo, elle y était, ce matin. Elle a acheté une statuette. Un singe. Une fraction du prix de la momie.

— Un singe ?

— Oui, attends, je te dis exactement.

Elle tira de son sac à dos rose le catalogue en papier glacé aux armes de Sotheby’s.

— Alors… « Item numéro N26, vase canope dont le bouchon représente une tête de babouin, soit Hapy, l’un des quatre fils du dieu Horus. La momie de Néfertiti, comme il était d’usage depuis l’avènement du Nouvel Empire, était accompagnée de quatre vases qui devaient contenir les viscères embaumés de la défunte : Imsety, avec une tête humaine, recevait le foie ; Duamutef le chacal, l’estomac ; Qebehsenuef, les intestins — et Hapy était le gardien des poumons. » C’est un peu dégueu, mais la commissaire-priseuse a rassuré l’audience sur le fait que les vases étaient vides. Et j’ai vu Jessica Pryce s’engouffrer dans une limousine après avec une petite caisse sous le bras. Tu ne m’as toujours pas dit : pourquoi tu as dit « Sixtine » tout à l’heure ?

— Tu viens toujours ce soir ? demanda Max.

— Oui, si je ne loupe pas mon vol, dit Florence en se levant pour rassembler ses affaires.

— Je t’en parlerai ce soir alors. Je t’attendrai à l’aéroport.

Max raccrocha et le nom de Sixtine résonnait encore dans les oreilles de Florence. Pourquoi Max faisait-il des mystères ?

Son téléphone portable retentit. C’était la réponse du docteur Maleh.

Le coup qu’il a reçu au cœur a été d’une telle force qu’il est impossible qu’il se le soit infligé lui-même. Il a des bleus sur le corps, il s’est débattu, c’est évident. Je suis d’accord avec la conclusion d’homicide.

Florence inspira profondément. Tout se compliquait. Mais le plus important était le passage. Ce soir, elle ferait signer les papiers à Max et ils commenceraient ensemble un grand projet de documentaire qui leur ouvrirait les portes de la gloire. Le cœur de Florence se gonflait d’excitation.

À ce moment, on frappa à sa porte. Elle ouvrit, sa valise à la main, et soupira.

— Qu’est-ce que tu fais là, Andrew ?

* * *

La douleur démesurée prit d’abord possession de chaque atome de son corps. Ensuite seulement Franklin entendit le coup de feu qui venait de l’emporter.

Il n’aurait pas pu dire comment il réussit à s’enfuir dans le dédale des rues de Boulaq. Il avait trouvé dans une impasse la carcasse rouillée d’une voiture et s’y était caché.

Il se recroquevilla sur le plancher, une plaie sanglante là où il ne pouvait pas voir, sous l’omoplate. L’appel du muezzin commença sa longue complainte et fit taire tous les bruits du Caire. Franklin voulut bouger, appeler de l’aide. Mais le fond de la rue était désert, et les trafiquants étaient peut-être toujours à ses trousses. Son corps n’autorisait plus aucun mouvement. Dans la chaleur grouillant de mouches, Franklin Hunter avait froid.

La nuit allait bientôt tomber. À quelques blocs de là, les habitants du quartier installaient des barricades, pour se protéger des voleurs. Boulaq se refermait sur Franklin. Il pensa à Toutankhamon, à toutes ses batailles et toutes ses poursuites, qui s’arrêtaient là, dans la rouille et l’abandon. Il avait eu raison, bien sûr. Envers et contre tout, il avait eu raison. Mais est-ce que cela comptait, dans la vie d’un homme, de seulement trouver la vérité ? Il pensa à sa fille, à sa femme, de l’autre côté du monde. Dans un geste d’agonisant, il réussit à saisir son téléphone portable dans sa poche. Lui non plus, il ne lui restait plus beaucoup de temps. Il était un fugitif recherché pour le meurtre d’une femme — et il était mourant. Le destin lui permettait un dernier SOS. Save Our Souls.

Il composa un numéro qu’il avait juré de ne jamais appeler. L’Œil.

À chaque sonnerie qui résonnait dans le vide, l’espoir diminuait et la blessure semblait le déchirer davantage. Enfin, Franklin, du fond de sa triste carcasse, entendit qu’on décrochait.

— Aziza Rust, j’écoute.

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