Chapitre 55

Le Silence De L’Égypte

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Article du New York Times daté du 31 octobre


UN COLLECTIONNEUR FAIT DON DE NÉFERTITI AU MET, L’ÉGYPTE RESTE MUETTE

Ce matin, M. Frederick Montecito, directeur du Metropolitan Museum of Art, a confirmé qu’Helmut von Wär, dont l’immense collection d’antiquités est estimée à près de 800 millions de dollars et dont l’enchère record a permis de faire l’acquisition de la momie de Néfertiti à Paris ce mois-ci, a fait don de la dépouille de la reine égyptienne au musée.

« Accueillir la momie de Néfertiti, accompagnée d’une partie de ses objets funéraires, est un immense honneur. C’est la raison d’être de ce musée, de présenter et de préserver le meilleur de l’Histoire. Puisque les sables d’Égypte n’offrent plus de protection aux dépouilles des pharaons, alors le Met devient leur gardien naturel. Et Néfertiti sera certainement mieux ici que dans un garage désaffecté. »

Néfertiti a en effet été retrouvée dans un hangar laissé à l’abandon à Berlin, parmi des centaines de fausses antiquités égyptiennes de qualité médiocre. Le propriétaire du lieu, M. Adi Goldman, un collectionneur et mécène juif ayant financé une fouille à Al-Armana dans les années 30, a péri dans le camp de concentration de Dachau en 1943. Sa petite-nièce, Sophie Neumann, a découvert la cachette d’antiquités suite à une longue enquête.

Trois experts ont d’abord cru que l’intégralité des deux cents objets contenus dans le hangar étaient des copies, jusqu’à ce que Yohannes De Bok, antiquaire et spécialiste mondial des faussaires, révèle la présence de soixante-dix-sept authentiques trésors parmi eux, savamment maquillés en faux.

Il semblerait que la supercherie ait été assez efficace pour que les Nazis ne réquisitionnent pas ces antiquités, comme ils l’ont fait avec tous les biens culturels de valeur appartenant aux collectionneurs juifs.

M. Montecito a précisé que le musée considérait la création d’une nouvelle salle exclusivement consacrée à Néfertiti, espace qui serait financé en grande partie par les dons de M. von Wär lui-même, dont le directeur du musée ne cesse de vanter la générosité et l’ambition.

En attendant l’aboutissement de ce projet, les plus grands musées du monde, tels le British Museum, le Louvre et le Neues Museum à Berlin, se préparent à accueillir Néfertiti lors d’une tournée mondiale déjà en préparation. Cet événement promet de battre le record de popularité établi par Toutankhamon, qui avait fait le tour de la planète de 1972 à 1979 et avait attiré 1,6 millions de visiteurs.

« L’arrivée de Néfertiti au Met va aussi nous permettre de faire un pas de géant dans nos connaissances de l’histoire égyptienne », ajoute Dr Cheryl Wood-Smith, conservatrice en chef du département des Antiquités Égyptiennes au Met. « La momie va bénéficier d’une étude avec des instruments à la pointe de la technologie.  Cette pièce incomparable devient un livre ouvert sur la vie de la plus grande reine d’Égypte et sur l’époque pharaonique toute entière. C’est le rêve de toute une carrière. »

Dr El-Shamy, premier archéologue d’Égypte et ardent opposant à l’acquisition de Néfertiti par des institutions ou individus non Égyptiens, avait interrompu la vente de la dépouille millénaire à Paris le 29 octobre, et réclamé son rapatriement en invoquant le principe de retour des cendres d’un chef d’État.

Le Dr El-Shamy ne s’est pas exprimé concernant la nouvelle de l’acquisition de la momie par le Met, et les appels au CSA (Conseil Suprême des Antiquités), dont il est le directeur, n’ont pas été retournés à l’heure où nous imprimons.

La révolution qui fait rage du Caire au Sinaï a déjà permis tant au trafic d’antiquités qu’au pillage du patrimoine culturel d’atteindre des niveaux alarmants qui empirent à mesure que le conflit s’intensifie.

Dans ce contexte volatil, la croisade d’archéologues comme le Dr El-Shamy pour le retour des trésors pharaoniques sur le sol égyptien ressemble chaque jour davantage à une cause perdue.

Thaddeus di Blumagia, assis confortablement dans le salon VIP de l’aéroport Charles de Gaulle, replia le journal sans un bruit.

Ses longs doigts tapotèrent un instant le papier comme pour en extirper des vérités obscures, mais il le posa finalement sur le bagage à mains à ses côtés.

Il sortit un critérium de la poche intérieure de sa veste, puis un carnet de croquis, et se mit à reprendre l’esquisse du Mariage de la Vierge commencée quelques heures plus tôt à l‘église de la Madeleine. Il rectifia le visage de la Vierge pour le rendre plus anguleux, plus contemporain.

Plus Sixtine.

À cet instant, une hôtesse s’approcha et lui dit doucement :

— Monsieur di Blumagia, le vol pour Mexico est sur le point d’embarquer.

Il la remercia, elle rougit. Elle le regardait encore lorsqu’il quitta le salon, laissant derrière lui son New York Times et un parfum de fleurs rares mêlées de térébenthine.

Au même moment, les haut-parleurs de l’aéroport diffusèrent un message auquel personne ne prêta attention :

— Le passager Florence Mornay-Devereux est prié de se rendre porte 56 pour embarquement immédiat sur le vol AF 5723 à destination du Caire... Dernier appel pour le passager Florence Mornay-Devereux à destination du Caire, vol AF 5723, embarquement porte 56...

Mais le vol AF 5723 disparut du tableau noir, sans Florence.



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