Chapitre 62

Tunnel

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— À tout à l’heure, dit Max en souriant.

Naya descendit de la voiture sans un mot. La caméra était cachée sous son voile. Un U-GPS (appareil permettant de bénéficier de la technologie GPS sous terre) se trouvait dans sa petite sacoche en simili cuir. Quelques jours avant, Max avait failli finir enterré vivant dans un tunnel éboulé ; un passage secret vers la pyramide était une impossibilité et les promesses de Naya sentaient le guet-apens. Alors Max avait pris ses précautions. Il suivrait les pas de la jeune femme via vidéo.

Mais il ne pouvait pas empêcher cette mauvaise intuition qui tordait son ventre.

L’appel à la prière résonna dans l’air du soir, et Max alluma le petit moniteur posé sur ses genoux. Il attendit, bercé par le chant monotone de l’imam dans les haut-parleurs. Quand l’image apparut, il reconnut la maison de l’homme qui lui avait vendu les antiquités. Mais il jura, appuya sur quelques boutons sans succès : le son ne fonctionnait pas. Il serra ses dents. Ça commençait mal. Et que fabriquait Naya ?

Soudain, il la vit descendre. Cinq marches. Pas assez profond pour un tunnel. La caméra découvrit une cave ordinaire, parfaitement rangée. Il plissa les yeux, s’approcha du moniteur : avait-il reconnu, sur l’un des cartons, une fleur de lotus ? Mais avant qu’il ne pût déchiffrer les inscriptions, Naya se dirigeait vers un grand four à pain. La caméra sembla tomber en arrière et fixait à présent le plafond sombre.

Le bip de son téléphone portable le fit sursauter : un message vocal. Il se redressa lorsqu’il entendit la voix vacillante de Sixtine.

Max, c’est Sixtine. Il faut tout arrêter. Vous risquez votre vie. Partez du Caire, tout de suite. Je vous en prie, écoutez-moi.

La voix déterminée, avec son intensité à fleur de peau et ces mots laconiques livrés à la hâte, donnaient soudain une dimension hyper-réelle à toutes les menaces. Elle s’inquiétait à son sujet ! Elle avait pensé à lui !

Que cela signifiait-il pour Naya ? Etait-elle l’appât ou la victime ? L’instinct intimait à Max de l’arrêter avant qu’elle ne s’aventure plus loin. Sa bouche s’était asséchée, ses mains étaient devenues moites. Machinalement, il mit la main sur la clef de contact de la voiture, mais ses yeux retournèrent de nouveau sur l’écran. On y voyait toujours le four à pain, mais l’endroit lui sembla différent. Il dut se rapprocher pour être certain de ce qu’il voyait.

Naya pénétrait à l’intérieur du four.

Il découvrit alors un tunnel assez large pour y faire passer une personne, voire deux, à quatre pattes. Après quelques mètres qui ressemblaient au tunnel de Spidey - sombre, sale, étouffant -, l’accès débouchait sur un espace assez large pour que Naya puisse se mettre debout. Au début, le faisceau de sa lampe ne dévoila rien que Max pût identifier. Enfin, il comprit, et mit sa main devant sa bouche.

Il vit une antichambre décorée dans le style classique européen le plus luxueux, mais que couvrait la poussière. Un canapé à trois médaillons trônait au milieu de la pièce. Des portraits ornaient le mur. XVIIIe siècle peut-être ?

Max se rappela un reportage à la télévision sur les bunkers des barons de la Mafia en Italie : leurs cachettes souterraines ressemblaient à des palais de mauvais goût, encombrées de dorures bon marché, de bibelots ostentatoires et d’effets marbre. Mais ici, dans cette image improbable qui bougeait sans cesse, Max décelait une patine inimitable qui suggérait l’authenticité. Depuis combien d’années cette antre étrange existait-elle ?

Naya poussa une porte peinte en trompe-l’œil qui donnait sur un autre escalier. Un autre tunnel s’étendait devant elle. Enfin Max découvrait le passage qu’il avait imaginé : assez haut pour que Naya puisse marcher debout, soutenu par une architecture de pierres, des murs vierges. Il ressemblait au couloir de la chambre de la Reine, seulement plus haut et plus large. En somme, une galerie à échelle d’homme, mais au parfum d’éternité.

Max transpirait. Naya avait dit vrai. Alors sa vie était aussi en danger que la sienne, mais il ne pouvait plus rien faire. Même s’il avait eu un revolver sur la tempe, il n’aurait pu résister à ce qui se passait sur l’écran. Devant ses yeux, Naya progressait en direction de la pyramide.  

Le U-GPS indiquait qu’elle était à mi-chemin entre sa maison et la pyramide de Khéops. Soudain les parois se rapprochèrent, l’accès devint plus étroit. Le faisceau qui rasait les murs révélait des fresques égyptiennes. Ces personnages mystiques semblaient posséder sous la lampe de Naya une vitalité surréelle, leur regard doté d’une langueur qu’il n’avait jamais remarqué sur les pièces de musée. Les déesses particulièrement, comme Bastet, celle avec la tête de chat, qui semblait, même de profil, l’inviter à découvrir les mystères qu’elle protégeait. Max était hypnotisé.

Soudain, un impact secoua la voiture. En un geste fulgurant, Max couvrit le moniteur avec son sac. Un adolescent surgit près de la fenêtre, un ballon de foot sous le bras. Il sourit à Max et leva la main comme pour s’excuser, puis il fila vers l’endroit où d’autres jouaient. Max déglutit et lentement, ôta le sac de l’écran. Naya s’était remise à marcher, le tunnel orné de fresques semblait continuer à l’infini. Max, la gorge serrée, consulta sa montre : Naya avait allumé la caméra trente minutes plus tôt. Plus que quelques minutes de batterie. Avait-elle dépassé l’endroit où aurait pu déboucher le tunnel de Spidey ? Sur le moniteur, un escalier montait en un passage étroit et si raide que la pente semblait presque verticale.

Naya pénétrait dans la grande pyramide de Khéops.

En haut de l’escalier, la caméra s’immobilisa. L’objectif fixait un couloir horizontal qui s’étendait à l’infini devant elle. Naya reprit sa marche. Max retenait son souffle. L’icône de la batterie s’était mise à clignoter. La paroi du mur tournait : était-ce un autre couloir ? Non, c’était une chambre qui donnait dessus.

Comme la chambre X.

Mêmes dimensions, mêmes murs vierges, même vide. Un coup d’œil aux données U-GPS confirma que Naya se trouvait sur un axe parallèle au célèbre couloir horizontal de Khéops - la chambre qu’il contemplait se trouvait entre ces deux corridors, comme dans un effet de miroir. Un côté était connu, illuminé, bruyant de visiteurs. L’autre était silencieux et sombre telle une tombe. Combien d’âmes connaissaient son existence ?

Naya avançait toujours. Une nouvelle chambre. Puis une autre encore. Sur le sol en face de chacune d’elles, il semblait qu’une dalle manquait : il fallait descendre une petite marche de quelques centimètres avant l’ouverture et la remonter quelques centimètres après pour continuer dans le couloir.

Quatre chambres. Quatre creux dans le sol.

Soudain Naya arriva à une paroi. Contre la paroi se trouvait un petit monticule de sable. D’où ce sable pouvait-il venir ? Max serra les dents en voyant l’icône de la batterie qui clignotait toujours. Tous ces éléments étranges faisaient partie d’un tout, d’une logique qui ne demandait qu’à être comprise, Max le sentait. La solution était à portée de main, il pouvait presque la goûter.

— Allez Naya, allez..., susurra-t-il entre ses dents serrées.

Mais à ce moment-là, la caméra se mit à tournoyer dans tous les sens. Puis elle s’arrêta net. Elle avait heurté le sol, et était calée sur le plafond.

Max pencha sa tête pour mieux lire l’image : à l’angle du mur, en face de l’ouverture de la dernière chambre, se trouvait un linteau de pierre qui saillait d’une vingtaine de centimètres de la paroi. Au beau milieu du plafond se creusait un espace pas plus grand qu’une main. Des ombres défilèrent devant le faisceau de la lampe, mais Max n’y prêta pas attention. Il essayait de deviner ce qui se trouvait dans le creux du plafond. L’ombre bougea, et il découvrit un anneau de métal. Le plafond n’avait pas de joint et semblait avoir été bâti avec un seul bloc.

Puis ce fut le noir complet.

Max saisit en hâte un bloc-notes dans son sac, et, fébrile, il esquissa ce qu’il venait de voir. Où était l’entrée de la chambre X ? D’où venait ce bloc de calcaire ? L’anneau au plafond du couloir actionnait-il un système de portes, de herses ? Où étaient-elles ? Il couvrit les pages de croquis, de coupes, de plans, de possibilités.

Pendant ce temps-là, l’écran était toujours noir.

Quand il reposa le bloc-notes, il mordilla le bout de son crayon. La solution lui échappait toujours. Et Naya n’était pas revenue.

Max attendit, l’inquiétude grandissant à mesure que les minutes passaient. Une demi-heure. Une heure. Les scénarios qui se jouaient dans sa tête étaient de plus en plus lugubres. Enfin, il reçut un message du portable de Naya.

Elle lui donnait rendez-vous le lendemain dans un parc près des berges du Nil.

Le corps de Max se détendit d’un coup. Il avait percé un peu plus le secret de Khéops en découvrant un passage improbable. Et au cœur de ce succès immense se trouvait la certitude que ce tunnel était un raccourci vers Sixtine.

Il avait enfreint ses ordres de s’arrêter, et il avait eu raison.

À présent il fallait absolument lui parler. Il composa son numéro. Déconnecté, bien sûr. Il envoya un email, en priant pour qu’elle le reçoive. Et Florence, où était-elle ? Il démarra dans la poussière, la tête emplie d’équations compliquées et de menaces à venir.

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