Chapitre 83

Feux

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La dernière chose que Sixtine vit avant les yeux de Néfertiti fut une immense gerbe d’étincelles. De Bok avait coupé les fils électriques. L’obscurité était totale. Par-dessus les cris du singe hystérique, Sixtine entendit la voix de l’antiquaire.

— Ne vous inquiétez pas, on vous retrouvera. Dans deux ou trois jours - quatre maxi. Le temps pour moi de faire ce que j’ai à faire. Au revoir, Sixtine.

Elle voulut faire un pas vers la voix, vers ce qu’elle se souvenait être la sortie, mais son pied ne trouva que le vide. Elle tomba dans un trou peu profond. Elle sentit un manche en bois, un pic peut-être. Elle le lança dans le noir, mais n’atteignit que le vide. Les yeux vides de Néfertiti emplissaient tout, et quand elle voulut frapper de nouveau avec son pic, elle visa le front de fumée de la reine d’Égypte. Mais l’outil fut arrêté par quelque chose de mou et un cri s’échappa. Avait-elle touché De Bok ?

Elle tomba en arrière, ses ongles raclèrent la poussière, sa bouche se remplit de terre. Sa respiration presque coupée, elle réussit à se mettre à genoux. Ses bras tâtèrent autour d’elle : elle se trouvait dans un trou bien plus profond. Au fond, des choses dures. Des os. Elle réussit à se relever juste assez pour voir un rai de clarté faiblarde à quelques mètres d’elle. Puis la silhouette de De Bok se tenant un bras, qui pendait le long de son corps, montait l’échelle. Et finalement, alors que sa tentative de grimper hors du trou échouait dans la douleur, l’obscurité devint totale à nouveau et le singe cria de plus belle lorsqu’il entendit le cliquetis lourd d’un cadenas rouillé.

Sixtine se recroquevilla d’abord au fond du trou, pour récupérer sa respiration qui se perdait, affolée. Les yeux de Néfertiti allaient et venaient dans son crâne, suivi par un panthéon confus de dieux Egyptiens. La sueur coulait sur son front comme la rivière verte coulait dans sa tête. La terre dans sa bouche l’empêchait de déglutir. Elle murmurait non non non non dans le noir. Mais toute sa tête lui répétait cette certitude : elle pourrirait dans ce trou pendant que De Bok irait assassiner Gigi et tous ceux qu’il croiserait sur son passage. Il n’avait pas tenu sa promesse. Mais pourquoi l’avait-elle cru ?

Une autre certitude lacérait son âme : Thaddeus.

Il n’avait fallu qu’un instant pour se souvenir de tant de choses, glanées au fil des mois. Il avait écrit la note qui l’avait amenée ici, et elle était tombée dans le piège. Il avait eu une raison de tuer Seth, et la mort de ce frère devenu ennemi ne l’effrayait pas. Thaddeus connaissait De Bok / Oxan Aslanian depuis l’enfance, et ils étaient complices. Et ces mots : « Je ne vous laisserai jamais partir ». Si elle avait finalement choisi de retourner aux côtés de Seth, si Thaddeus ne pouvait pas l’avoir, l’aurait-il tuée elle aussi ? Oxan Aslanian et lui étaient cachés dans le jardin lorsqu’elle parlait au spectre de Seth. Ils savaient qu’elle savait. Il était temps de l’éliminer... une deuxième fois.

Thaddeus coupable. La nausée la secoua et elle vomit de la bile au fond du trou. Elle crachait, tremblante, les cheveux dans les yeux, lorsqu’un coup de feu assourdissant se réverbéra dans le souterrain.

Ses yeux, dans l’obscurité, étaient grand ouverts et sa tête bougeait dans tous les sens. Le coup avait été accompagné d’une clarté, quelque part.

Puis un deuxième coup de feu, une lueur imperceptible sur sa peau hérissée. Des cris de joie. Sixtine releva la tête.

Des feux d’artifice !

Des feux d’artifice pour le jour des Morts ! Elle se releva, mal à l’aise sur ses jambes douloureuses, se mit debout sur les os. D’autres éclairs apparurent à faible intervalle et elle vit de la lumière qui passait au travers ce qui devait être la trappe d’où était sorti De Bok.

Sixtine réussit à se hisser hors du trou. Mais les feux d’artifice s’étaient arrêtés. Elle était à nouveau dans l’obscurité absolue.

Elle pria que la fête continue. Les morts qu’on célébrait durent entendre sa prière, car en quelques instants, Sixtine avait réussi à se hisser sur l’échelle, le nez tout près de l’espace d’où passait l’air de la nuit. Elle était assez près pour constater que la trappe était fermée de l’extérieur par un gros cadenas. Elle réussit à pousser la plaque de métal de quelques centimètres, créant un espace assez grand pour passer sa main. Mais le cadenas était bel et bien fermé.

Elle se mit à crier, debout sur son échelle qui ne menait nulle part. Elle cria longtemps, hurlant comme un loup en cage, mais personne ne l’entendit. Même le garde du Musée était trop loin. Ses cris se perdirent dans les derniers feux d’artifice.

Enfin, elle abandonna. La faible lueur de la lune qui passait par la petite ouverture semblait suffisante pour effrayer Néfertiti et le singe. Ou peut-être avaient-ils eu peur des feux d’artifices. Sixtine pensa à Gigi, fit une prière pour que Han soit assez fort...

Gigi...

Gigi...

Avant qu’elle ait pu dire le mot, sa main avait déjà atteint sa poche de jean. Ses doigts trouvèrent la broche de brillants en forme d’oiseau qui étincelèrent d’une lumière minuscule.

Crocheter le cadenas avec l’aiguille qui lui avait percé de doigt.

Sixtine se concentra alors, sa respiration à peine audible. Elle dut presser sa main à travers la trappe, et y laisser des bouts de peau.

Pendant de longues minutes, elle essaya, et essaya encore, rageant contre l’échec, priant entre deux jurons.

Le sang dégoulinait entre ses doigts. Elle tordit son poignet, la sueur mouillait son visage.

Enfin, elle entendit le bruit de la libération.

Le cadenas était ouvert.

En un instant, Sixtine respirait l’air de la nuit entière. Elle était debout, en haut du temple des Aztèques, comme à la cime de la plus haute des montagnes.

Et de ce sommet, elle vit De Bok, se tenant un bras ensanglanté, sortir de l’enceinte du site du Templo Mayor qui donnait sur Zócalo. Il pénétrait dans la foule des Morts.

Elle sourit.

Elle n’avait plus peur.

Elle dévala les marches du temple.

Cette fois, cette nuit, c’était elle qui chassait.

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