Chapitre 89

La Reine Impostrice

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— Dr Wood-Smith, sauf votre respect, vous êtes consciente que ce que vous suggérez est tout à fait impossible.

La voix était là, lovée dans l’obscurité à quelques mètres d’elle, se manifestant seulement par une buée puante d’essence et un écho qui courait sur les tuyaux crasseux d’un plafond bas du parking du Meat Packing District. Un éclat pâle brillait parfois dans la pénombre.

Les doigts boudinés de Cheryl Wood-Smith tremblaient de froid, elle bafouillait.

— Je sais, je sais. Mais il faut me croire. Je... je ne suis pas folle. Les données... c’est indéniable.

— D’accord, dit la voix, apaisante. Reprenons depuis le début.

— Mes collègues du Met et moi-même avons étudié tous les éléments, en utilisant du matériel de pointe. Notre travail complète celui des experts de Sotheby’s, ceux employés par l’acquéreur. Les objets funéraires, le cartonnage, les inscriptions, les matériaux... les bandelettes autour du corps, les amulettes à l’intérieur du corps, même, tout le processus d’embaumement... tout, vous m’entendez, tout est absolument authentique... mais...

Elle déglutit avec bruit et ajouta :

— Le corps de Néfertiti n’est pas le sien.

Elle déglutit.

— Ce... ce corps, c’est celui d’une femme décédée il y a quelques mois seulement. Elle a été momifiée immédiatement, probablement le jour de sa mort.

— Vous me dites que quelqu’un a trouvé la véritable tombe de Néfertiti. Puis a ouvert cercueils, bandages... et replacé Néfertiti par un autre corps... ?

— C’est absurde, bien sûr c’est absurde ! s’écria Wood-Smith. Et pourtant....

— Un faussaire n’aurait-il pas pu recréer le tout ? tenta la voix.

— Mais non ! cria-t-elle, la voix étranglée. C’est impossible ! Vous n’imaginez pas... les faussaires passent leur vie entière à créer et parfaire un seul type d’objet, qui pourtant arrive à peine à tromper les experts... et là, nous sommes en présence de soixante-dix-sept objets, une momie, un cercueil gigantesque, un Livre des Morts, des vases canopes, que sais-je... Non seulement il faudrait des connaissances d’une sophistication extraordinaire, mais aussi toute une usine de maîtres faussaires qui travailleraient pendant des années... Personne en Égypte n’est capable de recréer un ensemble de faux à cette échelle, l’ambition dépasse l’entendement. Il aurait suffi d’un hiéroglyphe approximatif pour que tout s’écroule et l’imposture révélée en quelques minutes !

— Et là, c’est le corps qui trahit l’imposture... Admettons que le tout soit un faux. Le faussaire aurait-il pu imaginer que personne ne s’en rende compte ?

— Non, dit Wood-Smith. Si faussaire il y a - et j’ai toujours du mal à le croire -, son savoir-faire nous prouve qu’il est parfaitement informé des dernières avancées académiques et scientifiques en matière d’Egyptologie, mais aussi des techniques de pointe que la discipline emploie. Si c’est un faux, vous comprenez, c’est comme si quelqu’un avait recréé parfaitement l’ensemble de la chapelle Sixtine jusqu’au dernier détail... et avait peint des moustaches à Dieu.

La voix émit un léger rire, mais Wood-Smith semblait perdue dans ses pensées.

— Même... non même lui... commença-t-elle.

Les pneus d’une voiture lointaine crissèrent sur le macadam et le silence revint.

— Oxan Aslanian, dit la voix, plus grave. C’est à lui que vous pensez ?

Cheryl Wood-Smith hocha la tête, comme pour elle. Elle regardait dans le vide.

— Ou alors... il savait...

Elle se mit à sourire. Comme si un poids venait de lui être enlevé des épaules, pour la première fois elle sembla presque détendue.

— Il savait quoi ? demanda la voix.

— Il savait ce qui se passerait. Que le Met étoufferait l’affaire. Trop gros pour échouer, n’est-ce pas... Que le projet générerait tant de publicité, que les musées auraient tant à perdre... et que finalement il vaudrait mieux prétendre que c’était bien Néfertiti.

Elle fit une pause, la fatigue alourdissant ses paupières.

— Mais même lui, toute une momie... cela dépasse l’entendement. Et il y a autre chose...

— N’ayez pas peur, il faut tout dire, intima la voix.

La conservatrice se recroquevilla imperceptiblement dans son manteau bon marché et murmura :

— J’ai fait vérifier tous mes résultats... Un ami, médecin légiste de la police scientifique. Il a confirmé tout ce que je craignais à propos du corps, qu’il ne s’agit pas d’une mort naturelle. Il s’agit d’un... d’un meurtre.

Elle se frotta la tempe, pour essayer d’enrayer une nouvelle migraine.

— Comme vous le savez, lorsqu’il s’agit d’un homicide, la procédure habituelle, par défaut, est de chercher dans les fichiers de personnes disparues. Nous... nous avons retrouvé à qui appartient le corps.

Wood-Smith regarda dans le coin d’ombre où se trouvait son contact, puis elle baissa les yeux. Une tache d’huile gisait à ses pieds.

— Elizabeth von Wär. La fille d’Helmut von Wär. L’acheteur de Néfertiti.

La surprise fit sortir la voix de l’obscurité. Sa grande silhouette projeta une ombre sur la tache d’huile. Sa boucle d’oreille en or brillait dans la lumière blafarde du parking.

C’était Franklin Hunter.

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