Chapitre 154

Poverty Point

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The Times-Picayune, édition du 30 septembre


Les tribus unies soutiennent la nomination d’un site sacré à l’UNESCO


United South and Eastern Tribes Incorporated (USET), une organisation intertribale composée de 26 tribus reconnues au niveau fédéral, accueille la nomination de Poverty Point à la liste du Patrimoine mondial de l’Humanité à l’UNESCO.

Poverty Point (Pointe Pauvreté), situé près de Delhi sur le Bayou Macon au nord de la Louisiane, est un site archéologique de plus de 3000 ans, préservé et entretenu par le Bureau des Parcs et la Division d’Archéologie de la Louisiane. Les archéologues considèrent qu’il a été le centre spirituel d’une société amérindienne complexe.

« Poverty Point est un site archéologique unique qui a considérablement façonné notre compréhension du développement culturel et du patrimoine amérindien en Amérique du Nord », déclare Brenda Johnson, présidente de l’USET. « Les tribus unies du sud et de l’est soutiennent donc la proposition d’inscription de Poverty Point à la liste du Patrimoine mondial. ».

* * *


— La cité oubliée de Poverty Point ? Si vous n’en avez jamais entendu parler, c’est sur le point de changer.

Max avait réussi à avoir en ligne l’archéologue en charge du site. Elle parlait à vive allure et Max essayait de suivre en prenant des notes à un rythme furieux.

— C’est un site archéologique qui date de plus de trois mille ans. Pour vous donner une idée, c’est l’époque où Toutankhamon régnait en Égypte. Ce qui est extraordinaire, c’est qu’à cette époque, les tribus indigènes vivaient de la chasse et de la cueillette, et étaient rassemblées en très petits groupes. Alors que celles qui vivaient à Poverty Point formaient une communauté qu’on estime à au moins cinq mille personnes, du jamais vu sur le continent. Et elles étaient suffisamment organisées et sophistiquées pour construire un monument plus volumineux que les pyramides de Gizeh.

L’archéologue confirma les chiffres du journal, mais en souligna l’échelle, monumentale : un monticule qui avait dû mesurer à l’époque dans les trente mètres de haut. Six crêtes concentriques en demi-cercle, à hauteur d’homme, dont la plus à l’extérieur avait une portée de plus d’un kilomètre. Toutes centrées sur une immense place de quinze hectares donnant sur la rivière. Le tout au milieu de la plaine du Mississippi. Avant les digues construites à partir du XIXème siècle, la rivière devait tant inonder les alentours que le site de Poverty Point n’était plus qu’un îlot au milieu d’un marais qui avait dû sembler littéralement infini.

— S’il est aussi extraordinaire, demanda Max, comment a-t-il pu être ignoré jusqu’ici ?

L’archéologue soupira.

— Principalement parce les sites amérindiens ne jouissent pas, malheureusement, d’un énorme enthousiasme dans notre pays. Et puis parce que la découverte est récente. À l’exception des monticules, le site était trop vaste pour être vu depuis le sol. Même depuis les airs, les arbres le camouflaient bien : lorsque des ingénieurs de l’armée ont effectué de la photographie aérienne de routine en 1938, personne n’a rien vu, et les photos ont été archivées. C’est seulement dans les années 50 qu’un anthropologue local est tombé sur ces photos et a remarqué le motif des demi-cercles. Il a fait des recherches sur place et s’est rendu compte que les locaux étaient au courant de l’existence d’un site depuis belle lurette : on racontait que, à l’endroit d’une plantation détruite depuis, il y avait une vieille ville indienne.

— Cet anthropologue qui l’a découvert…

— Il est mort, depuis. C’est lui qui a théorisé que Poverty Point avait été utilisé comme un observatoire astronomique. Il pensait qu’il s’agissait d’un marqueur du solstice. Moins complexe que Stonehenge, mais construit à plus grande échelle.

L’archéologue marqua une pause puis ajouta :

— C’est vrai que si un observateur se tient debout à Poverty Point au moment du solstice d’été, il voit le soleil se coucher au centre de l’allée nord-nord-ouest qui traverse le site. Au solstice d’hiver, le soleil se couche au centre de l’allée ouest-sud-ouest.

Ah, l’argument astronomique, pensa Max. Le refuge des chercheurs fainéants quand ils sont dans une impasse pour expliquer un site. L’alignement de mon lit avec mon bureau indique probablement l’azimut du solstice.

Pesant ses mots, Max rétorqua :

— Souvent, ce genre d’alignement représente une coïncidence statistique.

— Je suis d’accord avec vous. La piste de l’astronomie est mince et a d’ailleurs été rejetée par la plupart de mes collègues. En revanche, cela ne fait pas de doute dans mon esprit que Poverty Point est un centre religieux qui attirait d’autres individus de la même culture, répartie dans tout l’est de l’Amérique. Imaginez Poverty Point comme la Mecque ou le Vatican, à Rome.

Max savait que, depuis des milliers d’années, l’homme avait pris l’habitude de séparer ses structures religieuses de l’espace d’habitation, mais il ne put s’empêcher de demander quelques preuves. L’archéologue offrit de lui envoyer ses articles parus dans des publications scientifiques, mais elle ajouta :

— On n’a trouvé ni restes humains ni os d’animaux, mais beaucoup d’artefacts fabriqués avec des matériaux non locaux, certains provenant par exemple de l’actuel état de New York. Ça nous permet d’avancer que Poverty Point était probablement situé sur un axe migratoire des tribus nomades. Et même s’il est unique par son ampleur et la géométrie de son architecture monumentale, ce n’est pas le seul site de son époque avec des monticules de terre et des matières premières importées. On compte deux cents sites archéologiques avec des types de restes similaires du Tennessee au golfe du Mexique. Mes collègues et moi nous accordons pour dire que ces populations appartenaient à la culture de Poverty Point.

— Avez-vous retrouvé des symboles ?

La question était pourtant innocente, mais l’archéologue hésita, avant de répondre avec ce qui parut à Max de la retenue.

— Des perles et des pendants… des récipients de terre, et peut-être un signe sur un côté des crêtes… semblent représenter… éventuellement… des ailes… Nous pensons à un hibou. Une sorte d’oiseau.

Sans réfléchir, Max traça sur son carnet des ailes.

— Et cette culture… Comment appelez-vous les habitants ?

— Les occupants de Poverty Point ? Ils ont disparu comme ils sont venus, sans laisser de traces, et bien avant l’apparition des cultures amérindiennes qu’on connaît aujourd’hui. On les appelle les Poverty Pointers, parce que franchement, on n’a aucune idée de qui ils étaient et de ce qu’ils faisaient là.

— Un drôle de nom, Poverty Point ? 

— C’était le nom de la plantation de canne à sucre qui occupait le site au XIXème siècle. Elle a été détruite il y a longtemps.

Un silence s’installa. Max allait poser une autre question, mais l’archéologue le coupa :

— Si vous venez en Louisiane, vous devriez aller y jeter un coup d’œil. Le site… vous verrez qu’il y a quelque chose sur ce site, quelque chose de… spécial. Vous voyez, je suis archéologue depuis près de quarante ans. Des sites du Patrimoine mondial, j’en ai vu. J’ai fouillé en Égypte, au Mexique, au Pérou, sur des sites de sacrifices humains, à Göbekli Tepe, toutes sortes de lieux majeurs dans l’histoire humaine, ceux qui font la couverture du National Geographic. Mais jamais je n’ai ressenti quoi que ce soit comme à Poverty Point. Surtout à la tombée de la nuit. Il se trouve dans le nord-est de la Louisiane, à mi-chemin entre Monroe et Vicksburg. Tournez vers le nord sur la I-20 et vous y êtes en une demi-heure. Si vous aimez l’archéologie et les civilisations anciennes, ne le manquez pas.

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