Chapitre 172

Sur Les Traces Du Papillon D’Or

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Le papillon était un motif rare dans l’iconographie de l’Égypte antique.

Plus rares encore étaient les bijoux arrivés jusqu’aux collections des musées internationaux. Toutefois, une acquisition aussi exceptionnelle qu’un papillon d’or laissait des traces. Presque toutes les antiquités acquises par Vivant avaient été répertoriées ; Florence espérait qu’il en était de même pour celles de Daumesnil.

La journaliste appela ses contacts dans le monde des antiquités, des archéologues aux historiens, en passant par les conservateurs. Il lui fallut une douzaine d’appels pour arriver à une doctorante spécialisée dans la représentation des écosystèmes palustres dans les accessoires funéraires égyptiens. La demoiselle venait juste d’effectuer un stage au Musée de Cleveland, dans l’État de l’Ohio. Elle affirmait avoir étudié un petit artefact en or en forme de papillon dans les stocks de la collection permanente et lui recommandait de parler à la conservatrice en chef.

— Le musée possède en effet deux pièces qui correspondraient à votre description de papillon égyptien, dit la conservatrice d’un air pincé. Nous possédons bien entendu la documentation adéquate pour ces objets, listant sa provenance. En revanche, elle ne contient aucune mention d’un monsieur Daumesnil.

— Essayez Duminy, insista Florence. D-U-M-I-N-Y.

— Non plus.

— Glapion ?

— Non, non plus.

— Écoutez, dit Florence, contenant mal son exaspération. La demoiselle qui fait une thèse sur les papillons égyptiens, elle était presque sûre que l’un d’eux provenait d’une collection privée de Louisiane.

— Mais ce ne sont pas les noms que vous avez évoqués.

— Bon, on peut jouer ce jeu pendant longtemps. Quel était le dernier propriétaire de ces trésors ?

— Le Musée de Cleveland l’a acquis en toute légalité. Selon la Convention de 1970 sur les biens culturels…

Florence poussa un soupir silencieux. Elle comprenait pourquoi son interlocutrice était sur la défensive. Les musées internationaux faisaient face à tant de demandes de rapatriement d’œuvres et étaient accusés si fréquemment de cautionner les pillages historiques des colons sur les colonisés qu’ils bétonnaient la provenance de leurs pièces ; même lorsqu’il n’existait pas de traces de leur histoire.

— Je ne veux pas qu’il y ait de malentendus, dit Florence sur un ton conciliant. Je ne vous appelle pas pour vous accuser de vol. J’enquête sur une disparition, liée à une secte dont les membres sont des collectionneurs d’antiquités.

— Celle qui était dans les informations l’année dernière ? demanda la conservatrice, sa voix soudain plus grave.

— Oui, c’est ça.

— Je me disais que votre nom m’était familier. Vous êtes la journaliste qui a exposé toute l’affaire.

— Pour le meilleur et pour le pire, oui. À propos du papillon en or, j’ai juste besoin de savoir…

La conservatrice l’interrompit vertement.

— Le battage médiatique autour de cette soi-disant secte a fait beaucoup de mal à nos institutions. Le grand public n’a pas la capacité de comprendre que les actions de quelques mauvais acteurs ne représentent pas les valeurs du personnel des musées. Les gouvernements étrangers ont profité d’une opinion publique favorable pour nous assaillir de demandes de rapatriement. Bientôt, nos musées seront vidés de leur diversité, et les dizaines de milliers de gens qu’ils emploient seront au chômage.

— Madame, dit Florence avec précaution. Je ne travaille pas contre les musées comme le vôtre ni contre son personnel. Je travaille pour les victimes. Si j’ai passé toute la journée à chercher la provenance de ce papillon d’or, c’est parce qu’il est peut-être la clef de la disparition d’une jeune femme. Nous ne savons pas où se trouve la victime, nous avons très peu de pistes, et très peu de temps. Mais si elle est tombée dans les filets d’un des membres de cette secte, laissez-moi vous donner une idée de ce qu’elle risque d’endurer. Louis-Christophe Daumesnil, ce collectionneur dont j’essaie de reconstituer l’histoire, est accusé d’avoir enterré vivantes sept esclaves, pour espérer gagner une place de choix dans l’au-delà.

Elle fit une pause. Son interlocutrice la laissa continuer.

— Je vous demande ce service en sachant pertinemment que la moitié de la documentation relative à la provenance des œuvres manque de fiabilité parce qu’elle a été rédigée après la convention de 1970, pour légitimer la présence de ces biens culturels là où ils ne devraient pas être. Mais, comme je vous l’ai dit, la vie de quelqu’un est en jeu, et je prends toutes les miettes qu’on peut me donner. Parmi elles se trouvera peut-être une pépite.

Le silence au bout de la ligne sembla durer indéfiniment. Enfin, la conservatrice prit la parole.

— Je vous envoie une copie des documents par email. Bon courage.


Cinq minutes plus tard, Florence ouvrit un message contenant une courte liste de noms, de dates, de lieux. Elle laissa tomber sa tête contre le dossier de sa chaise et soupira. Tout ce travail pour en arriver là : en effet, aucun des noms n’appartenait aux habitants d’« Atlides » à Poverty Point, ou à leurs descendants.

Son regard dériva vers la fenêtre, et la pluie qui battait la toiture crevée de la chapelle. La fatigue et le découragement multiplièrent sa faim, mais elle n’avait pas l’énergie pour aller mendier un en-cas aux cuisines. Elle n’avait pas l’énergie pour faire quoi que ce soit, d’ailleurs, et le temps humide et froid d’octobre n’arrangeait rien. Plus par ennui que par souci de conscience, elle inscrivit les noms de la liste dans la barre de recherche de Google.

Elle cliqua sur un lien qui semblait prometteur : l’article parlait de meurtre.

Une poignée de secondes et de pages plus tard, les yeux écarquillés et la mâchoire à moitié décrochée, elle se leva d’un bond en marmonnant.

— C’est pas vrai, c’est pas vrai, c’est pas vrai !

Par réflexe, elle courut jusqu’à la chambre de Max, et jura lorsqu’elle se souvint qu’il avait quitté le manoir. Elle dévala les escaliers.

— Mikael ! Mikael !

Ses pas précipités et ses cris firent accourir Han.

— Mademoiselle Mornay ?

— Où est Mikael ?

— Il était dans le Petit Salon il y a dix minutes, balbutia le majordome. Tout va bien ?

Florence ne lui répondit pas et continua sa course folle. Lorsqu’elle trouva enfin Mikael accoudé à la cheminée du Petit Salon, elle était en sueur et à bout de souffle, et eut du mal à articuler :

— Le papillon en or de Daumesnil. Au Musée de Cleveland. Vendu par la veuve d’un type de La Nouvelle-Orléans. Assassiné en 87. Le flic en charge à l’époque…

— Qui ?

— Franklin Hunter.

Mikael pâlit d’un coup.

— Le nom de la veuve ?

— Dorothy Boucvalt.

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