Chapitre 188
Flammes

La lumière avait déjà baissé lorsque Sixtine sentit l’odeur de feu.
— Max ! Max !
Le jeune homme s’était assoupi. Il sursauta, son œil boursouflé se colorant déjà de vert, la peau autour de son poignet à vif. Sixtine réussit à se hisser vers la fenêtre, la chaise en plastique malmenant son dos.
— Qu’est-ce que… ? bafouilla Max. Bon Dieu. Il y a quelque chose qui brûle.
Le bruit des chaînes les interrompit. Lucia bougeait.
— Lucia, tu nous entends ? cria Max. On va s’en sortir, OK ?
Mais Sixtine pâlit d’un coup. Un incendie se ruait vers eux à une vitesse folle.
— Max, il faut qu’on sorte de là. Maintenant.
Les chaînes, de l’autre côté, s’agitèrent aussi. L’odeur âcre du bois brûlé se fit plus intense.
Max tira encore sur les cordes qui emprisonnaient ses mains et grimaça de douleur.
— Ces ficelles sont impossibles, cracha-t-il dans un hoquet.
À cet instant, dans un grognement d’effort, Sixtine pivota sur elle-même, la chaise dans son dos.
Avant de pouvoir comprendre ce qu’il se passait, Max vit le pied de Sixtine s’écraser contre le bois sous la fenêtre. La vitre sale trembla, et la jeune femme geignit.
Un autre hurlement, un autre coup de pied sous la fenêtre.
Enfin, Max comprit ce qu’elle essayait de faire : casser la vitre. Mais son corps était tellement plié par la chaise attachée à son dos qu’elle n’arrivait pas à lever son pied assez haut. Elle essaya plusieurs fois, en vain. Des gouttes de sueur perlaient sur front.
Max l’observa d’un œil résigné. Que feraient-ils une fois la fenêtre cassée ? La porte était grande ouverte de toute façon. Il ne pouvait aller nulle part, attaché à son lavabo. La fumée piqua sa gorge, il toussa, de la morve coula sur sa lèvre.
Les chaînes en métal bringuebalèrent furieusement.
Sixtine recula alors et, le visage tordu par la hargne, s’écrasa de toutes ses forces contre la vitre. Une explosion de verre et de bois fit trembler la cabane. Sixtine cracha du verre, sa lèvre était fendue, et déjà le rouge se mêlait à l’argent de ses cheveux.
Sans perdre une seconde, elle se tourna et, le cou tordu, hissa ses poignets à l’endroit où un fragment de verre coupant sortait de l’encadrement de la fenêtre. Puis elle se contorsionna, le visage déchiré de douleur, le verre sectionnant un à un les fils synthétiques de la corde et entaillant sa peau. Le sang dégoulinait sur la paroi de planches et devant les yeux écarquillés d’horreur de Max.
Un nuage de fumée brune s’engouffra par la fenêtre, et les chaînes s’excitèrent à nouveau.
— On arrive, Lucia ! J’y suis presque ! hurla Sixtine.
Enfin, la chaise tomba sur le plancher. Sixtine ramena ses poignets ensanglantés contre son ventre comme on serre un petit enfant, arracha un bout de son tee-shirt déchiré avec ses dents et s’en fit un bandage qu’elle noua à la hâte. L’instant d’après, elle saisit un fragment de verre et coupa les liens de Max en quelques secondes.
La fumée, de plus en plus épaisse et étouffante, s’engouffrait dans la cabane en vagues toxiques.
Sixtine et Max prirent leur élan, ensemble, pour défoncer la porte de l’autre pièce. Elle céda immédiatement.
Deux grands yeux orange se figèrent de surprise et de peur.
Ce n’étaient pas ceux de Lucia.
Traînant des chaînes qui n’étaient reliées à rien, montrant des incisives jaunes, son visage et son pelage si intensément sombres qu’ils brillaient : un macaque noir.
De ses bras protégeant son ventre sortirent deux autres petits yeux orange. Mère et enfant étaient pétrifiés de terreur.
Lucia n’avait jamais été là.
La nausée monta à la gorge de Sixtine. Elle se hâta vers le porche et se recroquevilla dans un coin, serrant ses poignets contre elle. Elle fit à peine attention aux efforts déployés par Max pour réussir à faire sortir les singes de leur prison. Ils disparurent dans la jungle, fuyant l’incendie.
— Sixtine ! cria Max, toussant dans la fumée de plus en plus dense. Sixtine, regarde. Je n’y crois pas. C’est eux !
Elle parvint à se redresser, et à regarder ce que Max montrait du doigt, plus loin, dans la vallée : des hommes équipés de pulvérisateurs et de bidons. Et de torches.
— C’est eux qui mettent le feu. Les tranchées, c’était pour stopper la propagation des flammes…
Il suivit la ligne des fossés.
— On est en plein dans la zone qu’ils font flamber !
À ce moment-là, Sixtine remarqua une forme radieuse à côté de ses poignets bandés, sur la rambarde du porche : un obsidia solitaire, le masque étrange en filigrane sur ses ailes dorées trempées d’obsidienne, soudain parfaitement visible. Les enfants avaient dû l’oublier.
Soudain, un froid amer paralysa Sixtine :
— Max. Je sais pourquoi ils mettent le feu.
Elle le regarda et murmura :
— Ils ne veulent pas l’obsidia. Ils veulent son extinction.
Un grondement haineux jaillit de la gorge de Max, et il tapa de la paume de sa main sur la paroi de la cabane.
— … en détruisant son territoire pendant que le village est distrait par les funérailles !
La jungle crépitait à présent de flammes.
— On n’a plus le temps. Viens !
Avant de suivre Max qui dévalait les marches branlantes, Sixtine prit l’obsidia dans ses mains et l’encouragea à s’envoler. Mais l’insecte resta accroché aux doigts de la jeune femme.
— Sixtine ! Vite ! Par là ! cria Max.
Alors, avec ses paumes, elle forma un cocon autour des ailes d’or, avant de s’enfuir dans la jungle humide.