Chapitre 189

La Déposition de Lanaa Steele (XIV)

Chapter illustration

ÉTAT DE LA LOUISIANE

NEW ORLEANS POLICE DEPARTMENT

Dossier no 86-934-S


Déclaration écrite soumise par le témoin


Témoin : Lanaa Steele

Feuillet 14/15


17 novembre 1987


Il me faut les preuves.

Nul besoin de me convaincre – je sais bien que Marìa a dit la vérité. Mais il me faut des munitions pour trouver le courage de parler à Franklin. Si je dois lui expliquer l’inexplicable, je dois trouver ces pièces à conviction dans la maison de Dorothy Boucvalt.

La nuit vient à peine de tomber que ma moto fend le bayou en direction du Quartier Français.

Toute la ville sait où habite le révérend, et je connais intimement l’intérieur de la maison : la vision du meurtre de Marìa m’a appris malgré moi tout ce que j’avais besoin de savoir sur le lieu du crime. Je n’ai aucun mal à ouvrir la porte avec la vitre brisée.

L’intérieur est silencieux comme un champ après la bataille. La mort a déjà fait sa récolte, mais la vie n’a pas encore repris son souffle : le malheur semble dégouliner sur le papier peint luxueux. Rien ne bouge dans l’obscurité du hall, et mes pas ne font même pas grincer l’escalier lorsque je monte. Pourtant je vais vite, mes pas sont précis et feutrés.

J’ai pris avec moi des bracelets d’un vert fluorescent ; je peux facilement les cacher dans mon blouson, et ils m’offrent toute la lumière dont j’ai besoin. On dirait que je porte des lucioles autour de mes poignets.

Sur le palier devant la chambre de Dorothy, je trouve ce que je cherche : une grande armoire à la française. Mes bracelets fluorescents se reflètent dans le miroir étroit et ciselé entre deux battants ornés. Lorsque j’ouvre la porte de droite, elle grince. Je fais un pas rapide pour me cacher derrière, je dissimule mes poignets, et j’écoute, immobile.

J’ai cru entendre une voix étouffée, à l’étage inférieur – mais je n’en suis pas sûre. Je retiens mon souffle. J’attends de longues minutes dans le silence absolu, puis, lentement, délicatement, je reprends mon exploration de l’armoire. J’ouvre le tiroir indiqué par Marìa. Mes doigts rencontrent des aiguilles. Je sursaute : l’une est rentrée sous mon ongle. Je suce le sang et jure en silence.

Je finis par trouver le coussin. Il me suffit de tirer un fil pour révéler le rembourrage. Je plonge la main à l’intérieur et en ressors une rivière de diamants, verts dans la lueur faible de mes bracelets.

Je ne peux pas m’empêcher d’admirer le bijou dans l’obscurité : je n’ai jamais tenu dans mes mains une pièce aussi extraordinaire. La plus infime de ses parties est tout aussi remarquable que l’ensemble du collier. Le plus gros diamant qui pend au milieu est tellement large que même les brillants que les filles portent pour le Mardi Gras sont plus petits. Suis-je tentée de le garder ? Mon cœur bat plus fort dès que mes doigts touchent le froid des pierres. Jamais je n’ai eu entre les mains autant d’argent, et je me demande quelle vie je pourrais avoir si ce trésor ornait mon cou.

Mais je pense à Franklin, et à nos nuits qui illuminent la solitude de la clairière : son amour est plus précieux que la plus fine des joailleries.

D’autres bruits. Je me retranche derrière l’armoire. Je serre le collier dans ma main et écoute à nouveau. Une, deux, trois secondes. Dix secondes. Je me convaincs que c’est seulement une voiture, dehors. Je continue de fouiller dans l’armoire, le collier pend à mon poignet. Le temps presse, je serre les dents. Une fois les documents égyptiens trouvés, je pourrai tout remettre à sa place.

Je trouve la pochette des patrons de broderie. Jésus, les anges, les saints, des citations.

Étroit est le chemin qui mène à l’éternité. Mais les justes le trouveront. Mathieu 7:13

Enfin, je découvre un symbole familier : l’ankh, la croix de vie égyptienne. Le logo de l’antiquaire du Caire, sur un fax.

Je passe mon bracelet phosphorescent sur chaque ligne. Tout ce que je lis confirme les affirmations de Marìa : le document date de la semaine d’avant, prouve la commande de Boucvalt, parle de transferts de fonds, de la vente de sa maison.

Le chiffre du prix est confus, il est si long. Des millions de dollars. Dorothy avait raison, toute sa fortune y serait passée, comme celle de Duminy. 

Une ligne stoppe ma lecture. Je repasse plusieurs fois la lueur de mes bracelets verts, car je n’en crois pas mes yeux.

L’objet en or que Boucvalt devait acheter est le masque de Toutankhamon.

Je me souviens de lui, car ses trésors sont venus à La Nouvelle-Orléans, il y a dix ans. Mes parents étaient bien trop pauvres pour nous emmener les voir au musée, mais la maison de la clairière était en ébullition : la connexion spéciale de notre famille avec l’Égypte nous faisait croire qu’ils étaient venus en Louisiane juste pour nous. Les coupures de journaux que ma mère avait collectionnées à l’époque sont toujours dans une boîte à café, quelque part – elle est morte quelques mois plus tard.

Comment ces trésors peuvent-ils être à vendre ?

Je suis tellement hypnotisée par la mention de Toutankhamon et les souvenirs qui renaissent sous mes yeux que je ne réagis pas immédiatement aux bruits derrière moi.

Lorsque je les entends, mes mains trouvent instinctivement la pochette des broderies. Mais pour moi, il est trop tard.

Je vois la silhouette dans le miroir.

C’est Franklin, et il pointe son revolver sur moi.

← Chapitre précédent Chapitre suivant →
© Caroline Vermalle. Tous droits réservés.