Chapitre 199

Vocations

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Lorsque Sixtine sortit de la tente, guidée par Phelen, elle rencontra le visage de Franklin. Il dégoulinait de pluie et de fatigue. Pourtant, il était radieux d’espoir : il avait dû entendre le nom de Lanaa.

Ils coururent tous les trois à travers la clairière malmenée par le déluge. La robe blanche de Phelen, rendue translucide par l’eau, battait dans le vent. Les cheveux argent de Sixtine collaient à son visage.

La clairière fut soudain illuminée d’une lueur orange. Quelqu’un avait allumé une lampe dans le rez-de-chaussée de la maison. Une silhouette se tenait à la fenêtre. Franklin ralentit le pas. Sixtine l’encouragea à avancer, malgré la pluie qui les fouettait.

Lorsqu’ils arrivèrent sous le porche de la maison, face à la porte du local, Sixtine chercha Phelen. Elle avait disparu.

La nuit autour d’eux se colora de jaune, et Sixtine vit le grand corps de Franklin se figer devant la femme qui venait d’ouvrir la porte.

— Lanaa…

Ils restèrent face à face, en silence. Sixtine, qui s’était reculée de quelques pas pour se retrancher dans l’ombre, ne pouvait pas voir le visage de Franklin. Mais celui de Lanaa Steele la fascinait tant qu’elle ne put en détourner le regard. Elle était exactement comme le détective l’avait décrite.

Exactement : elle n’avait pas plus de vingt-six ans. 

— Je te demande pardon. Je n’ai pas cru… murmura Franklin.

Lanaa tendit une main vers lui pour caresser sa joue. Il saisit ses doigts et les garda contre sa peau. Le regard de Lanaa vacillait entre émotion, curiosité et reconnaissance.

Puis, délicatement, elle retira sa main de l’emprise de Franklin et baissa les yeux.

Lorsqu’elle les leva à nouveau sur Sixtine, la nuit retint son souffle. Sa voix était si harmonieuse qu’elle semblait commander toutes les choses et toutes les saisons.

— Comment t’appelles-tu ?

— Sixtine.

Un sourire tendre assouplit son visage et elle ferma les yeux, comme si on lui avait apporté une bonne nouvelle.

— Sixtine. Bien sûr. Entre, nous n’avons pas de temps à perdre.


Lanaa déposa une à une les cartes sur la table couverte de velours, face à Sixtine. L’Œil d’Horus se répétait six fois sur un motif en forme de pyramide.

Franklin, installé sur une chaise dans le coin de la pièce, observait la main de Lanaa les retourner une à une.

Sixtine se rendit compte qu’elle savait déjà lesquelles se trouvaient devant elle. Peut-être parce qu’elles étaient les mêmes que celles que Lanaa avait retournées devant Cybelle vingt-cinq ans plus tôt. Ou peut-être parce que l’oracle égyptien parlait à cette connaissance secrète et mystérieuse qui vivait en elle.

La base de la pyramide contenait LA PYRAMIDE, LE SCARABÉE D’OR et NÉFERTITI.

La rangée du milieu, ANUBIS et MA’AT.

L’apex, LA BARQUE.

— C’est ma vocation ? demanda Sixtine, pointant du doigt les illustrations égyptiennes.

Contre toute attente, Lanaa mélangea les cartes, les rassembla et les replaça dans le tas ordonné.

— Non, c’est la mienne, Sixtine. Il m’a fallu vingt-cinq ans pour la comprendre. C’est le temps qu’il faut pour savoir qui on est, je suppose.

Elle baissa les yeux vers sa main ouverte. Elle caressa de ses doigts les lignes profondes qui la rayaient.

— Tu es encore jeune, tu te dis que c’est long, vingt-cinq ans. Pourtant, lorsque je pense à ces années, j’ai l’impression qu’elles tiennent dans le creux de ma main.

Elle referma sa paume avec douceur, puis elle sonda le vert émeraude des yeux de Sixtine.

— Ma vocation est de te dire ce que mes ancêtres ont vu.

Instinctivement, Sixtine jeta un coup d’œil vers la pendule aux motifs égyptiens. L’aiguille n’avançait pas.

— Vous avez dit que le temps presse.

— Tu vas pouvoir aller là où tu dois aller, Sixtine, dit Lanaa sur un ton solennel. Je te le promets, je m’en suis assurée. Mais si tu ne m’écoutes pas, tu n’en reviendras pas.

Elle plaça sa main chaude sur les doigts de Sixtine et s’approcha d’elle.

— Ne résiste plus. Écoute les chants.

Avaient-ils été soudain emmenés par le vent ? Ou étaient-ils des souvenirs qui se réveillaient ? Venaient-ils du passé ou du présent ?

L’écho lointain des chants vaudous et le rythme hypnotisant qui les accompagnait se levèrent tout autour de Sixtine, et Lanaa commença son histoire.

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