Chapitre 43

Les Adieux À La Reine

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Le Caire, le 28 octobre


Le Scultore passait lentement la main sur ses joues et plissait les yeux.

Il ne disait rien et respirait fort. Franklin se tenait près de lui, guettait chacun de ses gestes, chaque trait de son visage. Il l’avait appelé la veille, avant de partir de Mexico. Le vieux faussaire avait traversé une partie de l’Égypte dans la voiture défoncée de son petit-fils et, malgré tout, il était arrivé à l’heure à leur rendez-vous. Ici, au Musée égyptien, devant le masque funéraire de Toutankhamon.

Le Scultore contourna la vitrine. Il passa la tête en dessous du masque pour observer l’intérieur. Franklin voulait le presser, lui dire : « Alors, le Scultore ? C’est le tien ? Ou c’est le vrai ? » Mais il fallait que l’inspection soit sérieuse et le diagnostic sans appel. Car après tout, devant eux se trouvait la clef du meurtre de deux personnes.

Il ne faisait plus de doute que le vrai masque de Toutankhamon s’était trouvé dans la pyramide, donc dans la salle des pièces à conviction de la police. En tout état de cause, le vol du masque lors de l’incendie du commissariat n’était pas un dommage collatéral, mais la raison d’être de l’attaque. Ceux qui possédaient le masque étaient donc coupables du meurtre d’un policier et de Nasser. Le verdict du Scultore était capital : soit le masque que le vieux faussaire inspectait à présent était le faux qu’il avait créé, auquel cas le vrai était toujours dans la nature, soit c’était le vrai…

— C’est le vrai, affirma soudain le Scultore. Venez voir, monsieur Hunter.

Il montra du doigt l’intérieur du masque.

— Là, vers le bord, regardez. Il reste un peu de résine. C’est ce qu’ils ont dû utiliser pour le maquiller, n’est-ce pas ? Il a été nettoyé, mais c’est le vrai, j’en mettrais ma main au feu. Parole de Scultore.

Franklin regarda furtivement autour de lui et les deux hommes sortirent du musée en hâte. Le détective remercia le faussaire pour ses services et suivit la vieille voiture qui s’éloignait sur Tahrir Square. Il soupira. Il savait qu’il arrivait à la fin de son enquête, mais au lieu du triomphe, il ressentait une grande fatigue.

Si c’était le vrai, celui qui avait commandité l’assaut du commissariat pour récupérer son masque, c’était le conservateur du musée lui-même. Si sa culpabilité dans le meurtre de Seth Pryce ne pouvait jamais être établie avec certitude, au moins Franklin, grâce au Scultore, tenait la preuve qu’el-Shamy était un assassin.

Quand Franklin revint à son appartement au Caire, il retrouva une valise neuve, pas encore défaite, pleine d’habits qu’il n’avait pas achetés. Éteinte la lumière opulente de Mexico, partis le room service sur les plateaux en argent et la moquette moelleuse sous ses pieds. Et pourtant, il était chez lui et il s’y sentait bien. Ou plutôt il s’y sentait libre. Il s’assit sur la chaise bancale près de la table de la cuisine et écrivit un message à Sixtine.

Franklin sentit ses yeux se fermer d’épuisement et décida de remettre la narration détaillée de son entrevue avec le Scultore à plus tard dans la soirée. Il envoya juste quelques lignes.

« El-Shamy est coupable », disait son message.

Puis il alla s’allonger sur son lit et s’endormit. Il ne se réveilla que quelques heures plus tard.  Groggy, il prit un karkadé dans son réfrigérateur et s’installa à nouveau devant son ordinateur. Il remarqua alors la petite pile de courrier que son propriétaire avait laissée sur la toile cirée. Il commença par ouvrir une enveloppe beige qui portait son nom sans son adresse. On avait dû venir la déposer.

Lorsqu’il l’ouvrit, il reconnut le parfum immédiatement : du oud et de la cannelle. Zahara. Il vit aussi qu’il y avait une deuxième enveloppe identique dans la pile.

Il lut la première avec avidité. Le message était laconique, Zahara lui demandait de venir la voir dès son retour. Dans l’autre, elle donnait les noms des associés de Nasser et indiquait où les trouver. Aucune des lettres ne portait de date. Le petit appartement de Franklin semblait vaciller, il était comme hypnotisé par le parfum qui émanait des feuillets, par ces révélations qui semblaient faites à la hâte. Quelques minutes plus tard, sa voiture fonçait sur une quatre voies en direction de la maison de Zahara.

Il avait hésité à aller voir les associés de Nasser en premier. Mais le parfum des lettres avait éveillé un désir trouble. Le trafic du Caire retarda sa course, et Franklin perçut une fébrilité inattendue le pousser à klaxonner à l’unisson des Cairotes. Enfin, il arriva dans la rue de Zahara, mais son cœur s’éteignait à mesure qu’il approchait. Une fois devant chez elle, il n’était plus que cendres. Il descendit de sa voiture comme en transe. La police encerclait la maison et s’efforçait de disperser les passants, mais Franklin put voir le corps que l’on sortait par la porte défoncée. Sous un drap blanc, une cheville de reine et une chaîne en or. Franklin se sentit vaciller un instant, mais son téléphone portable vibra : Mohammed, son propriétaire. Il décrocha. La police venait de faire irruption dans son appartement et avait un mandat d’arrêt contre lui.

Il était accusé du meurtre de Zahara.

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