Chapitre 115

Les Chauves-Souris

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À peine avait-il traversé la cascade que Max tomba dans un trou.

Par chance, il n’était pas profond, un mètre tout au plus. Mais sa lampe frontale s’était brisée, et il se trouva dans l’obscurité complète. Une fois ses yeux habitués, il décela pourtant un mince faisceau de lumière près de ses pieds. Il tenta de se relever, mais ses mains touchaient des matières et des formes inattendues. Le sol semblait être en ciment, d’où sortait une structure faite de barres de métal qui tordaient ses pieds. Enfin, il trouva un endroit plan pour se relever, et ses mains palpèrent de quoi s’agripper.

Il plissa les yeux : le faisceau de lumière formait un carré. Et avant qu’il n’ait pu l’identifier, le sol trembla. Un souffle bruyant emplit l’air autour de lui autant que sa cage thoracique, et la terre se mit à bouger.

La panique le fit chavirer et il se trouva les fesses par terre. Il ne pouvait rien faire sauf constater un fait indéniable et terrifiant : les rochers autour de lui grandissaient. Le carré de lumière devenait plus intense et projetait des ombres mouvantes. Au bout de longues secondes d’angoisse, il comprit enfin : il était assis sur le toit d’une cage d’ascenseur. Il leva les yeux au-dessus de lui et remercia le ciel. Sa chute aurait pu lui être fatale. À vue de nez, il était trente mètres sous terre.

La clarté se fit soudain plus vive : l’ascenseur était sorti de son puits et avait pénétré dans une vaste pièce. Lorsqu’il s’immobilisa, Max ne réfléchit pas et s’empressa d’en descendre.

Ce n’est qu’une fois sur la terre ferme, qu’il réalisa où il se trouvait :

Une immense caverne. Sur les côtés, creusées dans la roche, trônaient deux pagodes dorées de plusieurs étages, éclairées de lampions rouges et or. Des lions en pierre gardaient leur entrée. Au milieu courait une esplanade qui semblait continuer à l’infini, et des centaines de lumignons formaient un couloir sublime.

De sa vie, Max avait rarement vu d’endroit aussi somptueux.

— Max!

Il sursauta, et écarquilla les yeux pour trouver d’où la voix venait. Dans une ombre de la pagode sur sa droite, il reconnut Bian. La première chose qu’il remarqua, c’est qu’elle était très pâle.

— Ça va?

Elle baissa la tête, il suivit son regard jusqu’à sa cheville. Une plaie profonde déchirait la peau gonflée. 

— Tu es tombée dans le puits?

— Tu rigoles, je me serais tuée. Non, je suis descendue le long du câble, et j’ai sauté. J’étais tellement hallucinée par ce que je voyais que je n’ai pas remarqué la barre de métal.

— Tu peux marcher?

— Oui, mais pas escalader. Et toi, tu es descendu comment?

— Sur le toit de l’ascenseur. C’est toi qui l’as renvoyé?

— Ouais. Mais quand j’ai entendu un bruit, je l’ai arrêté.

Ils se regardèrent.

— Quel bruit? murmura Max.

Bian mit un doigt sur sa lèvre. Max se retrancha plus loin dans les ombres de la pagode. L’écho d’une voix féminine monotone arrivait jusqu’à eux.

Ils restèrent tapis plusieurs minutes après qu’elle se soit évanouie.

— Tu devrais remonter, dit Max. Tu sauras retrouver la moto, non?

— Pas question.

— J’ai entendu que dans les grottes, il y avait toutes sortes de bactéries mangeuses de chair. Tu vas me dire que c’est pas vrai?

— Non, c’est vrai, dit Bian, d’un ton calme. Sauf qu’elles ne mangent pas les chairs.

— Non?

— Ce sont des streptocoques qui libèrent des toxines qui, elles, tuent toute cellule vivante.

— Donc tu remontes.

— Non.

Max haussa un sourcil. Bian fit la moue et dit :

— Entre ici et la moto, il y a un cobra royal. Je tente ma chance avec les bactéries mangeuses de chair.

— Sensé. Donc on est deux avec une patte cassée. Quel commando! Accroche-toi.

Il lui offrit son bras pour l’aider à se relever, et ils sortirent de l’ombre. Les lampions les aveuglèrent presque. Impossible de distinguer où ce chemin illuminé finissait, mais il faisait au moins cent mètres.

— Zut, j’ai mis du sang sur la belle mosaïque, dit Bian.

Max baissa les yeux.

— Tant que c’est le tien, commença-t-il, avant de s’arrêter net.

Puis il fit un pas en arrière.

— Oh mon Dieu.

Le sol de la caverne était entièrement composé de mosaïque de marbre. Et au milieu, immense, aussi grande qu’une pagode, était dessinée la croix aux deux embouts. Comme sur le ventre de Sixtine et la nuque de Livia.

— Quoi?

— Le motif de la mosaïque, c’est…

— C’est le logo du musée, dit Bian fronçant les sourcils.

— Le musée?

— Tu sais, le musée qu’ils devaient construire ici. Ils avaient mis un panneau, on est passés devant en moto hier. Dessus, je me souviens, il y avait ces deux H. Max pencha la tête. Effectivement, la croix pouvait être interprétée comme deux H collés l’un à l’autre.

— Tu te souviens du nom?

— Humanitas quelque chose, dit Bian.

Humanitas. Oui, Max se souvenait à présent. Le musée au Vietnam. L’article de presse revenait dans son esprit avec une clarté étonnante.

Amateur d’art et d’antiquités, Seth Pryce est aussi un philanthrope notoire, qui a récemment annoncé que, à sa mort, il léguerait la majorité de sa fortune à de bonnes œuvres dans le domaine de l’art et la conservation. Il a récemment fait don à la Fondation HUMANITAS d’un vaste site au Vietnam pour l’implantation d’un musée d’art asiatique.

Ces terres appartenaient à Seth Pryce. L’image de Sixtine dans la pyramide vint remplacer l’article dans sa conscience, et la colère fit tourner son sang. Il était au bon endroit. C’était là où ils avaient emmené Livia.

Et elle ne finirait pas comme Sixtine.

Plus déterminé que jamais, il s’avança au milieu des lampions, guettant le moindre bruit, sa poitrine gonflée de courage et de justice. Il était prêt à se battre.

Les lumignons les menèrent jusqu’à une sorte de square, au centre de laquelle se dressait une immense stalagmite noire. D’un côté se trouvait un pont au-dessus d’une rivière. De l’autre, un bâtiment de plusieurs étages creusé dans la roche. Sa façade en granit noir parfaitement lisse était en opposition avec le relief texturé de la roche autour. Max remarqua une porte sur le côté, il fit signe à Bian de le suivre.

Les bruits qui s’échappaient de la porte rappelaient à Max comme un frottement.

Ils virent alors s’éloigner du bâtiment une lente procession d’hommes silencieux. Ils devaient être une vingtaine, mais Max ne pouvait en être certain, car ils se fondaient dans les ombres de la caverne.

Dans leurs robes noires, la tête baissée, ils ressemblaient à des chauves-souris traînant leur misère.

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