Chapitre 119

Les Plaques Vierges

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Max et Bian profitèrent du chaos causé par l’annonce du vieillard pour retourner vers le bâtiment central, et s’y infiltrer.

Après un long couloir circulaire, ils pénétrèrent dans une pièce sombre, éclairée seulement par une veilleuse. Max balaya la lampe de poche et découvrit d’abord une sorte de chapelle.

Puis deux cercueils.

Dans le premier gisait un vieil homme vêtu d’une robe noire. Dans le deuxième, une Africaine dans une robe blanche ; elle ne pouvait pas avoir plus de dix-neuf ans. Leur visage était si paisible, et ils formaient une vision si différente de ce que le jeune Allemand avait vu dans la pyramide qu’il se surprit à penser que peut-être il ne s’agissait là que de morts naturelles.

Mais le tatouage sur le poignet de la jeune femme brisa ses illusions. Les plaques en or de style baroque clouées sur les cercueils épelaient les noms des défunts :

Roberto Telles & Helena Aliu Telles.

— Max ! murmura Bian, affolée.

Elle avait poussé des doubles portes. Une forte odeur d’eau de Javel, une table en fer, un plan de travail en marbre couvert d’instruments en métal : l’atelier du thanatopracteur.

— On ne trouvera pas Livia ici, marmonna Max, de la bile dans sa bouche.

— Tant mieux pour elle, ajouta Bian, donnant un coup de tête vers des réfrigérateurs. Attends, regarde !

De l’étagère au-dessus du plan de travail, elle tira une plaque en or. La même qui se trouvait sur le cercueil de Roberto et Helena. Dessus était gravé : Alfred-Jean de Stehl et Livia Minelli de Stehl.

— Elle est là pourtant, murmura Bian, devenue pâle.

Max sentit son estomac se serrer. Son regard était fixé sur la plaque et il était paralysé.

Un bruit assourdissant emplit alors le silence jusqu’à faire vibrer la table de fer.

Ils éteignirent leurs lampes en même temps, et attendirent, la gorge sèche, que le bourdonnement infernal s’évanouisse. 

Après de longues minutes de silence angoissé, Bian ralluma sa lampe et ouvrit son sac à dos.

— Celles-là, ils ne les emporteront pas au paradis.

Elle fourra plusieurs plaques vierges en or dans le sac de toile. C’était leur chute de l’étagère qui avait causé le fracas.

Alors qu’ils allaient partir, Max jeta un dernier coup d’œil aux deux cercueils. Quelque chose qu’il n’avait pas remarqué la première fois attira son attention. Sur un guéridon devant les cercueils était posé un large livre à la reliure en cuir. Il balada le faisceau de la lampe sur les pages ouvertes : des noms calligraphiés, des dates, des endroits.

Ils étaient tristement familiers. Tant de noms sur tant de pages. Les dents serrées, le cœur battant, il referma l’imposant volume. Sur sa couverture, en lettres d’or, était gravée la croix aux deux embouts. Il le considéra pendant plusieurs secondes, puis le fourra dans son sac à dos.

Il fallait trouver Livia coûte que coûte.

L’instant d’après, ils se trouvaient face à cinq portes dans une pièce circulaire.

— Maintenant on fait quoi ? On entre ? demanda Bian.

Max avança d’un pas vers l’une des portes, puis colla sa joue contre le battant.

— Livia ? murmura-t-il.

Rien ne bougea. Le couloir était étouffant de chaleur. La sueur coulait sur son front.

— Livia ! répéta-t-il.

Délicatement, il essaya d’ouvrir la première porte. Fermée. La deuxième l’était aussi. Puis la troisième et la quatrième. Il agrippa la cinquième au moment même où un bruit de pas envahissait le couloir. Lorsqu’ils se retournèrent, c’était trop tard.

Livia se tenait devant eux, tel un spectre dans sa robe blanche. Elle les fixait, le regard vitreux.

— C’est elle ? murmura Bian.

Max hocha la tête.

— Livia, tu me reconnais ? On s’est vus à l’hôtel. Près de la piscine…

Elle ne répondit pas, et marcha vers eux, lentement.

Un frisson d’angoisse coula le long du dos de Max. Il alla à sa rencontre et s’efforça de sourire.

— Je suis venu ici pour toi, Livia. Je crois que tu es en danger. Je sais comment on sort d’ici.

Aucune réponse. Il posa sa main sur son bras, elle le retira dans un sursaut.

Max n’avait pas pensé à cette éventualité. Soit elle était droguée, soit elle avait été traumatisée.

— Je suis prête, dit-elle. Je suis l’élue. L’amour est tout près. Qu’est-ce que vous faites là ?

Sa voix n’était plus la même. Elle sonnait trop aiguë, trop mécanique, comme si elle fredonnait un refrain.

— Je ne te veux pas de mal, Livia. Si tu ne veux pas que je t’aide, il suffit de me le dire, je partirai. Mais je crois…

— Je suis prête pour mon ascension, continua-t-elle.

Livia était arrivée devant la cinquième porte.

Il ne s’agissait même plus de la convaincre ; il fallait seulement qu’il arrive à la faire réagir. Fallait-il qu’il utilise la force ?

— Je crois que j’entends des pas, dit Bian, les lèvres pincées.

— Silver, dit Max.

— Quoi ? dit Bian.

— Silver, répéta Max.

Mais Bian l’avait remarqué aussi : le regard de Livia s’était animé. Un faible sourire arrondissait ses joues.

— Il va bien ? dit-elle, d’une voix tremblante.

— Il… Tu lui manques. Si tu veux, on peut appeler Laura, pour qu’elle te donne des nouvelles de Silver. Il suffit juste de sortir quelques instants.

— Oui, dit Livia, toujours fébrile. Les téléphones ne marchent pas ici. Il y a des téléphones, mais ils ne marchent pas.

Max prit son bras et cette fois elle se laissa faire. Il retint son souffle le long du couloir, observant chacun de ses pas, guettant le moindre mouvement. Ils ne croisèrent aucun homme. Lorsque Livia cessait de parler et qu’elle se mettait à regarder autour d’elle, il lui murmurait des choses sur son chien Domino et la guidait avec délicatesse. Ils réussirent à sortir du bâtiment.

Bientôt Max put distinguer les deux pagodes, et l’ascenseur caché dans leur ombre.

Plus que quelques mètres.

Livia murmurait des choses sur son chat, Max acquiesçait à tout ce qu’elle disait, vérifiant derrière lui à chaque mot.

Enfin, ils y étaient. Bian appuya sur le bouton, et le bruit de l’ascenseur tendit leurs muscles. Plus que quelques secondes, et ils seraient à l’extérieur.

Mais au moment où les portes de l’ascenseur s’ouvraient, des voix éclatèrent au-dessus d’eux. Deux femmes, l’une en robe blanche et l’autre en robe verte, marchaient le long d’une falaise, et discutaient de façon animée. Contrairement à Livia, elles semblaient être tout à fait décontractées et conversaient comme deux amies heureuses de se retrouver. Elles ne les avaient pas vus.

Max et Bian poussèrent Livia à l’intérieur de la cage de l’ascenseur. Mais Max resta à l’extérieur.

Il voulait être certain de ce qu’il venait de découvrir.

L’une des femmes avait des cheveux roses.

— Qu’est-ce que tu fais? Vite ! murmura Bian.

Un mouvement de tête oblitéra tous ses doutes. C’était Florence.

Florence Mornay, descendante de Vivant Mornay. Qui semblait chez elle dans cet endroit improbable.

— Max ! supplia Bian.

Il entra dans la cage d’ascenseur, puis appuya sur le bouton. Mais au moment où les portes se refermaient, il se glissa à l’extérieur, et défit son sac à dos.

— Tu t’en sortiras, souffla-t-il, en poussant son sac à dos dans ses bras. Prends soin d’elle. Et garde ce livre comme ta vie. Je te retrouverai dans le bar.

Les portes se fermèrent sur les yeux affolés de Bian.

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