Chapitre 123

La Lumière Verte

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Aucun bruit. Pas même celui du silence.

Pas de lumière. Pas de ténèbres. Aucun souffle. Ni même la nécessité de l’air.

Sixtine reconnaît cet état. Il est familier et pourtant les souvenirs, comme le passé et le futur, les sens et le visible, n’existent pas. Chaque parcelle de temps et chaque possibilité forment un cercle infiniment grand et infiniment petit à la fois : c’est le présent. À l’intérieur du cercle, l’univers naît et meurt en un souffle, et ce qui reste est l’énergie essentielle : l’amour et la connaissance.

Sixtine flotte dans cette antichambre muette, sans corps, sans esprit, sans vie. Jessica fait une avec elle, tout comme des milliards d’autres âmes. Il n’y a plus de frontière entre elle et les autres.

Elle est, simplement.

Immortelle, paisible, complète.

Se passe-t-il un siècle? Ou une milliseconde? Il n’y a plus de temps. Il n’y a plus de hâte; elle est enveloppée dans la gratitude suprême d’être arrivée chez elle.

Sixtine est en paix.

Mais cet éther sublime est bientôt dérangé. La substance informe et invisible dans laquelle est lovée son âme se transforme en un remous sombre. Des voix chorales s’élèvent et s’emparent du silence. À mesure qu’elles grondent, Sixtine sent qu’elle reprend forme. Elle ressent. Elle respire.

Et les ténèbres vibrent soudain de peur.

Les yeux vides de Néfertiti emplissent tout l’univers autour.

«Le cœur de ton existence terrestre doit battre, Sixtine!»

Sixtine se rebelle immédiatement contre cette présence. Elle a retrouvé l’usage de ses bras, de ses jambes. Elle sent un sol sous ses pieds. Il faut fuir.

«Le temps n’est pas arrivé. Tu ne seras bienheureuse que lorsque tu auras trouvé la voie.»

Sixtine agrippe l’air, s’écorche, crie. Mais ses cris se propagent dans une autre dimension que celle d’où vient Néfertiti.

La reine est gigantesque, bloquant tous les recoins de l’obscurité. Sa bouche est déformée par la colère.

«Ton temps n’est pas arrivé, Sixtine! Tu dois trouver la voie! Tu ne seras bienheureuse que lorsque tu auras trouvé la voie!»

La voix de Néfertiti semble l’écarteler. Sixtine a beau ouvrir les yeux, elle ne voit que les ténèbres.

«Les ténèbres» hurle Néfertiti, comme si elle reprenait les pensées de Sixtine. Est-elle dans sa tête?

«Les ténèbres te mèneront à ta voie!»

Sixtine crache, sa gorge étranglée par la panique. Elle tente de courir dans le noir, mais elle tombe dans des trous. Elle se relève, tombe à nouveau, heurte son crâne.

L’enfer n’est pas pire que cela, pense Sixtine. Mais Néfertiti ne lui laisse pas le temps de penser.

«Tu ne seras bienheureuse que lorsque ta vocation sera accomplie. Ne m’oublie pas, Sixtine!»

Vocation. Le mot manifeste instantanément le souvenir de Thaddeus, plus douloureux encore que la terreur dans les yeux vides de Néfertiti. Sixtine s’est mise à courir dans l’obscurité, pour fuir sa propre souffrance. Doit-elle vivre dans cet enfer avec la réalité de la trahison de Thaddeus? Avec cet amour si grand que même alors qu’il est empoisonné à jamais, elle veut le garder au chaud dans sa poitrine?

Alors même que la plaie est infectée, elle préfère ce martyr-là à celui, insoutenable, de n’avoir pas connu Thaddeus.

Mais soudain, sous ses pieds, plus rien.

Elle tombe. Un choc, puis, contre sa peau, l’eau glacée et noire.

Son instinct la force à nager vers la surface. Mais où est la surface dans cette nuit infinie?

Sa respiration se bloque et ses poumons se calment. La voix de Néfertiti s’évanouit. Ses membres cessent de se débattre, ses muscles se détendent.

Sixtine, immergée, se laisse porter par le courant.

L’obscurité est complète.

Soudain, les profondeurs de l’eau sont traversées par un rai de lumière.

Verte.

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