Chapitre 125

Le Secret Des Deux Mondes

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Ses bras encerclèrent le corps de Florence et domptèrent le maelstrom. L’instant d’après, la jeune femme inerte était baignée de la lumière de la lune, dans la clairière. Max était à son chevet, caressant ses cheveux roses, lui intimant de revenir à elle.

Elle vivrait, Sixtine le savait.

La femme à la robe verte, de l’autre côté de la rivière, les observait. La présence de Sixtine semblait à la fois la régénérer et la terrifier.

— Tu es la jumelle, n’est-ce pas? cria-t-elle.

Sa voix était si onctueuse. Pourtant elle ricochait méchamment contre les parois de la caverne.

— Comment est-ce qu’on t’appelle?

— Sixtine.

Vatika sourit, comme pour elle-même.

— Veux-tu savoir quelle rive Jessica a choisi, Sixtine?

— Je sais ce qu’elle a choisi. Je te reconnais.

Sixtine, les dents serrées, de la colère naissant dans sa poitrine, s’était approchée de la rive.

— Ni l’une ni l’autre, continua Vatika en l’ignorant. Jessica a refusé l’éveil comme elle a refusé l’amour de son mari. Il l’aimait, pourtant. À la place, elle a essayé de me tuer, et de détruire tout ce que nous avons construit ici. Seth a pris sur lui d’en finir avec elle. Crime passionnel, je suppose.

Sa voix avait pris un accent résigné. Les courants de la rivière étaient devenus hargneux.

— Je le regrette. Les hommes ici ont des rituels qui ne sont pas toujours de mon goût.

Vatika marcha le long de la rive. Ses doigts se mirent à trembler et à se tordre contre sa robe verte. Parfois, elle tournait la tête, pour vérifier un bruit, ou un mouvement invisible autour d’elle.

— Jessica s’imaginait en vengeresse, dit-elle, s’efforçant d’étouffer la peur qui faisait chevroter sa voix. Mais ce n’était pas tout à fait sa destinée. Je savais qu’il n’y avait pas d’erreur, mais j’ai mis du temps à comprendre la raison de sa présence ici.

Elle donna à nouveau un coup de tête de côté. Ses yeux étaient grands ouverts, sa bouche pincée.

— Elle était ici parce que vous l’avez forcée, dit Sixtine. Elle n’est jamais venue de son plein gré.

— Les circonstances de sa présence ici n’ont jamais été de mon ressort, c’est celui du monde dehors. Je parle de la raison profonde de sa présence.

Vatika était arrivée à un endroit où le lit de la rivière était resserré. Le courant y était féroce. Les deux rives étaient si proches que Sixtine put mieux lire le visage de Vatika. De la sueur faisait briller son front, ses lèvres tremblaient, et elle lançait des regards furtifs autour d’elle.

Sixtine aussi ressentait l’énergie chargée de menaces.

— Quelle était la raison profonde de la présence de Jessica? demanda-t-elle, sa voix trahissant l’urgence.

— Pour te donner naissance. Entre autres. Tu es née dans la pyramide, n’est-ce pas?

— Oui.

Vatika acquiesça, comme si elle appréciait la confirmation d’une intuition.

— Et pour l’aider à accomplir sa vocation, bien sûr. Vous étiez toujours deux.

Sixtine fronça les sourcils, tentant de comprendre le sens de ses paroles. Vatika tremblait tant que ses mots s’étaient éteints dans sa gorge. Elle répéta «vous étiez toujours deux», mais seul un souffle sortit de sa bouche.

Sixtine allait poser d’autres questions, mais elle aussi perdit sa voix.

Un voile gris venait d’envelopper le corps de la femme face à elle. Un linceul d’éther, couleur de lune, brouillait le vert de sa robe et le contour de sa présence.

Vatika capta le changement sur son visage.

— Que vois-tu Sixtine? dit-elle d’une voix affolée.

Sixtine détourna le regard, scruta les profondeurs de la rivière verte qui coulait à leur pied.

— Si tu me dis ce que je veux savoir, je te le dirai, intima Sixtine.

Les épaules de Vatika se relâchèrent un instant, un sourire faible apparut sur son visage. Elle poussa un soupir résigné.

— Tu as déjà trouvé toutes les réponses, Sixtine. Tu penses que si c’est moi qui les articule, tu pourras me croire plus que toi-même?

Elle passa sa main sur son front. Elle tremblait tellement qu’elle dut la cacher dans les plis de sa robe.

— Pourquoi suis-je revenue ici? dit Sixtine, la voix dure.

— Parce que c’est ta vocation. Tous les chemins, dans les deux mondes, te mèneront à ce que tu dois accomplir. Tu ne peux pas quitter ce corps tant que tu n’as pas accompli ta vocation. Oh mon Dieu…

Elle se mit à bégayer, la panique enrayant ses phrases. Sixtine sentit l’air de la caverne s’épaissir de peur. La rivière bouillonnait d’écume.

— Qu’est-ce que je dois accomplir, Vatika? Parle!

— Vous étiez toujours deux… L’un pour venger, l’autre pour sauver… Le secret des deux mondes gardé… Sixtine, que vois-tu, vais-je mourir? supplia-t-elle.

— Dis-moi qui je suis! hurla Sixtine.

— Tu es un ange!

La réponse de Vatika atteignit le ventre de Sixtine comme un coup de poing et lui coupa le souffle. Mais à ce moment-là, Vatika tourna tout son corps vers la clairière. Elle tomba à genou, s’effondrant comme une poupée de chiffons. Son visage était exsangue. Elle joignit ses mains tremblantes dans une prière.

Sixtine suivit son regard suppliant.

La lumière de la lune provenant de deux ouvertures dans le ciel de la grotte projetait une silhouette magnifiée, dessinant deux ailes gigantesques contre la roche argentée.

C’était Thaddeus.

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