Chapitre 129
Encerclement

Une épaisse goutte de pluie explosa sur la joue de Bian. Puis deux, puis trois. Il devait y avoir un trou dans la tôle, qui grondait au-dessus d’elle comme un tambour.
La jungle toute entière autour du bar frémissait de pluie. Le sol était gorgé d’eau et formait déjà des rigoles boueuses. La jeune vietnamienne ne quittait pas le ciel des yeux. L’aube était arrivée, le déluge à sa suite.
Elle avait aussi apporté les pleurs de l’une des hôtesses qui l’avaient insultée la veille : sa sœur avait disparu sans une trace.
Bian serra les dents et pensa à Max. Elle refusait la vérité, et pourtant elle connaissait trop bien la grotte. Elle se souvenait encore de la fois où elle avait frôlé la mort, un goût d’algues pourries et de pierre dans la bouche. Dans une heure au plus tard, la plupart des sorties de la grotte seraient bouchées par les torrents, les cascades et les débris qu’ils traînaient.
Si son ami ne les rejoignait pas avant le lever du soleil, elle savait que plus personne ne pourrait rien pour lui.
— Et Alfred-Jean qui ne supporte pas l’humidité. Il va attraper du mal, c’est sûr.
Livia était debout à côté d’elle. Sa robe blanche était maculée de boue.
Bian la regarda. Elle se souvint de ce que Max lui avait raconté sur cette fille au nom de chapelle, Sixtine. Elle aussi avait survécu, mais avait mis plusieurs mois avant de découvrir que ce mari assassiné qu’elle tentait de venger était en réalité son bourreau.
Bian retourna à la contemplation de la basse-cour inondée. Peut-être que Livia serait capable de croire encore à la bonté humaine quand elle apprendrait qu’un homme avait sacrifié sa vie pour elle. Elle et ces autres qui ne vivaient plus que dans le livre qu’elle serrait dans ses bras.
L’eau emporterait tous ces salauds.
Pourvu qu’elle n’emporte pas son héros.
La pluie continua à matraquer la tôle du bar. Si fort que personne n’entendit les douzaines de véhicules qui éclaboussaient la petite route de campagne.