Chapitre 153
Archives (I)

Lune gibbeuse décroissante (7ème jour d’octobre)
— Maxou, est-ce que je peux te demander de l’aide ? Grands dieux !
La tête de Florence avait surgi de l’encadrement de la porte. Ses yeux s’arrondirent : le sol de la chambre de Max était couvert de plans d’architecte jaunis par le temps et de gravures anciennes.
— C’est Falmouth Manor, tout ça ? Je ne savais pas qu’on avait gardé tous ces plans.
— Vous ne les aviez pas gardés, dit Max, le nez sur une loupe au-dessus d’un plan, rapportant en même temps des notes sur un carnet déjà copieusement griffonné. Ton père n’était pas exactement amateur de paperasse ancienne. Mais le gardien, oui.
— Le vieux Smith, qui habite la ferme ? dit Florence en faisant une grimace.
— Mm-mh. J’ai découvert qu’il est le conservateur non officiel de l’héritage Mornay.
La fierté de Florence, encore tendre à cause de la réflexion de Sixtine, fut de nouveau piquée. Elle maugréa une réponse incompréhensible. Max, légèrement agacé, posa sa loupe et se tourna vers elle.
— En quoi veux-tu que je t’aide ?
— J’ai besoin d’installer un truc dans la bibliothèque. Ça ne prendra que deux minutes.
— Deux minutes. Temps de déplacement inclus ?
Florence leva les yeux au ciel.
— Ce n’est pas de ma faute si tu as choisi la chambre la plus éloignée de la mienne. Tu as de la chance, je ne l’ai pas pris personnellement.
Bien sûr qu’elle l’a pris personnellement, pensa Max. Elle prend tout personnellement ces temps-ci.
Trois minutes et demie plus tard, ils étaient dans la bibliothèque. Après avoir brièvement mentionné la découverte d’une plantation américaine appartenant à Louis-Christophe Daumesnil, Florence présenta la mission à Max : fixer un large panneau de liège sur l’un des pans vides de la bibliothèque.
Une demi-heure plus tard, ils en couvraient les imprimés des photos envoyées par Franklin, les signes vaudous trouvés dans les bouteilles. Florence, debout sur l’escabeau, se concentra pour enfoncer une punaise dans un symbole de lune, et prit sa voix la plus nonchalante pour dire :
— Tu as vu Sixtine, finalement ?
— Mmmh.
— Elle voulait quoi ?
Max se concentra lui aussi sur le paquet d’imprimés qu’il passait à Florence, se mordit un ongle et répondit distraitement.
— Juste jeter un œil sur les plans de Falmouth.
— Ah oui, dit Florence qui enfonçait la même punaise depuis une minute. C’est pour ça que tu as récupéré les plans chez le gardien.
Après une pause, elle fit la moue et ajouta :
— Si elle a des questions sur Falmouth Manor, elle peut me les poser. Je sais que mon père n’était pas à cheval sur la conservation des archives, mais, je veux dire, tout n’est pas dans les archives. Il y a des traditions orales, passées de génération en génération. Et je parie que le gardien, il ne les connaît pas.
— Ah oui, comme quoi ?
Max prit la photo du fragment de journal dans lequel avait été enroulée la mèche de cheveux. Le 30 septembre.
— Tiens, par exemple, savais-tu que l’une des premières propriétaires, au XVIème siècle, était une femme pirate ? Mary Killigrew, fille de noble famille le jour, naufrageuse la nuit.
Max gloussa et considéra son amie.
— Florence. Ce que tu me racontes, c’est l’histoire de la Princesse Pirate, ton livre préféré quand tu étais petite. C’est la première chose que tu m’as dite quand tu m’as amené à Falmouth. Correction : la deuxième. La première concernait la collection d’antiquités de Vivant.
— Mais il était inspiré d’une histoire vraie ! Demande à n’importe qui en ville, à Falmouth, ils te le diront.
Florence avait feint l’indignation, mais son cœur souriait : Max se souvenait de leur premier week-end à Falmouth !
— Mmmh, fit Max. Et d’autres traditions orales qui ne sont pas des romans d’aventures ?
— Il va falloir que tu t’y fasses, Maxou, ma famille était romanesque. Mon arrière-grand-mère Ottoline, qui avait une passion dévorante pour les livres de détectives, était la mécène d’une société d’écrivaines de polars qui se réunissait à Londres dans les années 30. Le Murder Club. Agatha Christie en était membre, d’ailleurs.
— Le Murder Club ? D’un goût discutable vu les antécédents familiaux…
Max s’arrêta net. Il se pencha sur le fragment du journal daté du 30 septembre.
— Mon oncle Silas, du côté de ma mère, soutenait mordicus qu’il y avait des tunnels templiers sous Falmouth Manor, mais le consensus dans la famille est quand même qu’il fumait la moquette… Max ? Max !
Avant de dépasser le seuil de la porte, Max, toujours concentré sur le journal, bougonna qu’il revenait dans cinq minutes.
Cinq minutes, tu parles, pensa Florence. Il en faut au moins dix pour arriver à sa chambre.
Une minute plus tard, Max faisait irruption dans sa chambre, essoufflé. D’un geste du bras, il poussa tous les plans qui encombraient son bureau et saisit son ordinateur. Alors qu’il retenait son souffle, ses doigts pianotèrent sur son clavier à une vitesse fulgurante. Enfin apparut sur l’écran ce qu’il cherchait.
Il ouvrit la bouche, la referma, se cala sur sa chaise, puis agrippa son téléphone.
— UNESCO, j’écoute ?
— Bonjour, j’ai besoin de renseignements sur un site sacré qui vous a été récemment soumis, pour être inclus dans la liste du Patrimoine mondial.
Il déglutit.
— Un site en Louisiane.