Chapitre 207

De L’Autre Côté

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Mille fois, Sixtine avait plongé dans les profondeurs pour aller y chercher l’apaisement. Son corps lui était aussi familier flottant au fond de la piscine du penthouse de New York que hors de l’eau. Dans les courants de la rivière verte ou les canaux noirs du Vietnam, elle avait perdu son souffle et trouvé la paix.

Mais dans les remous troubles du bayou nocturne, Sixtine découvrit un nouvel état : la renaissance.

Elle s’y trouvait comme dans le ventre d’une mère.

Impossible de savoir où était la surface, ou le bas, ou le haut. Impossible de compter le temps. Impossible de savoir si la clarté qui venait de naître provenait d’une source extérieure ou intérieure. Tout ce qu’elle savait, c’était qu’elle devait la suivre.

La lumière grandit en une aube orangée, ses rayons révélant une infinité de troncs submergés. La lueur colora de feu les bulles d’air au bout de ses doigts ; l’instant d’après, elles filaient, soûles de clarté, vers la surface. Elles ressemblaient à des lucioles montant vers le ciel étoilé.

À force de suivre la lueur, Sixtine se rendit compte qu’elle ne nageait plus, elle marchait. Pourtant la pesanteur avait quitté ses mouvements, comme si elle flottait toujours. Elle ressentait une extraordinaire légèreté, qui, plutôt que de ralentir ses pas, en augmentait la vélocité et la précision. Son corps était libéré.

Lorsqu’elle leva sa main devant son visage, elle découvrit que ses sens lui envoyaient des informations étranges et contradictoires : ils semblaient déceler plusieurs réalités en même temps. Un instant, ses doigts flottaient parmi les bulles orange et les débris végétaux de l’eau trouble du marais ; celui d’après, ils saisissaient des lucioles valsant avec des papillons de nuit. Les troncs submergés du monde aquatique alternaient avec une vaste forêt se dessinant contre un ciel nocturne – mais les branches de l’un et de l’autre jouaient avec les mêmes rayons d’aube.

Sixtine eut le réflexe de vouloir distinguer le vrai du faux. La vérité n’osa pas s’imposer ; à la place, elle se posa sur son cœur avec la délicatesse d’une main amie.

Ils existaient tous les deux. En même temps.

C’était à elle de choisir dans quel monde elle voulait vivre son présent.

À cet instant, le bayou s’évanouit, sans bruit, sans fureur, comme un vaincu se retire avec grâce. L’immensité de la forêt des lucioles se révéla alors dans toute sa splendeur nocturne.

Sixtine se demanda quelle partie d’elle-même avait fait ce choix.

Lorsqu’elle vit la lune pleine colorée par les doigts roses de l’aurore, elle comprit : c’était l’émerveillement.

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