Chapitre 209
Le Lit Du Ruisseau

Cybelle. Cybelle avait étudié les lignes de sa main lorsqu’elle menait la barque à travers le bayou. Dans le Petit Salon aussi, alors qu’ils découvraient les bouteilles vaudoues. Et Lanaa, dans la maison de la clairière. Que cela signifiait-il ? Était-ce… une carte ?
Les sens de Sixtine étaient à nouveau confus, sa vision affolée, et rendue encore plus floue par la neige fondue qui coulait dans ses yeux. Parfois, sa main était rayée des lignes qu’elle avait tant de fois remarquées sur sa paume. Parfois, elle n’en contenait qu’une. Parfois, c’était un trait, parfois juste une ombre : car l’aube revenait, et s’accrochait à ses doigts.
Laquelle était réelle ?
Cette fois, l’émerveillement ne pouvait plus guider son choix. Plus elle était confuse, plus les réalités s’entremêlaient. Et si le tracé des creux sur sa paume formait un itinéraire, où se trouvaient les chemins ? La forêt, illuminée de la lumière pâle du matin, était nappée de neige. Même avant que Sixtine s’arrête, elle n’avait rencontré aucun sentier.
Elle se rappela l’étrangeté du monde autour d’elle : ne réagissait-il pas à ses émotions ? N’était-ce pas son âme elle-même qui faisait les saisons ? Et si elle se forçait à croire qu’il existait un chemin, le chemin apparaîtrait-il ?
Elle essaya de sonder le calme à l’intérieur d’elle-même, de visualiser une ouverture à travers les arbres tranquilles, un cap, un signe.
Mais elle eut beau prier, supplier, crier, la forêt demeura indifférente.
Elle se réchauffait grâce au soleil, cependant ; et bientôt, les sous-bois résonnèrent du timide son des gouttes qui tombent. Flic floc. Flic. Floc floc.
Sixtine interrogea encore sa main, puis la neige, puis sa main. Point de chemin.
Flic floc.
Elle résista de toutes ses forces au découragement, car elle en était certaine à présent, il amènerait le froid et l’hiver. Mais le désespoir s’étendait en elle comme une flaque de pétrole, n’attendant que l’étincelle du ressentiment pour tout incendier.
Il fallait continuer à croire, c’était une question de vie ou de mort, dans ce monde volatil.
Flic floc flic. Flic floc. Flic. Floc floc.
Les lignes de sa main se brouillaient, mais elle se concentra sur autre chose : le bruit des gouttes. La fonte des neiges le précipitait et la forêt en amplifiait l’écho.
Sixtine se leva pour écouter le vent et suivre les notes aiguës. Bientôt, une symphonie joyeuse vibrait autour d’elle : celle de milliers de gouttes d’eau qui se rassemblent soudain.
Un ruisseau.
Il coulait sous la neige, se révélant parfois au pied d’une roche verte qui émergeait du blanc.
Elle en suivit le cours, qui coulait vers le printemps, grossissant en chemin de remous et de courants. Lorsque le soleil arriva à un zénith, le ruisseau était large, bruyant et puissant. Il était rivière.
Ce n’est que lorsque Sixtine vit qu’il se précipitait vers l’entrée d’une grotte qu’elle remarqua la couleur de l’eau.
Elle était verte.